Hauteur : 46 cm
Plâtre patiné
Porte le numéro ’814’ sur la base
Provenance :
• Collection Charles Auzoux, puis par descendance
• France, collection particulière
Exposition :
• Les trésors retrouvés des ateliers d’artistes au temps de Rodin. Collection Charles Auzoux 1870-1910, Paris
Louvre des Antiquaires, 50 mai - 10 septembre 1995, p. 65, n° X-27
Bibliographie :
• Amélie Simier (dir.), Jules Dalou, le sculpteur
Le fameux sculpteur officieux de la République Aimé Jules Dalou naît à Paris au sein d’une famille ouvrière protestante. Remarqué par Carpeaux dès l’âge de 14 ans, le jeune artiste se distingue pour ses dons artistiques parmi sa promotion à la Petite École (École nationale et spéciale de dessin, de mathématiques, d’architecture
et de sculpture d’ornements appliqués aux arts industriels) en remportant de nombreux prix aux concours des sections dessin et sculpture. C’est sur l’initiative de Carpeaux que Dalou intègre par la suite les Beaux- Arts où il développe ses compétences en fréquentant l’atelier du sculpteur Francisque Duret (1804-1865).
Après trois échecs au prix de Rome où il n’obtient qu’une seconde et troisième place, Dalou choisit de s’installer à Paris, rue du Cherche-Midi. Comme la plupart de ses confrères, il commence à travailler pour des ornemanistes puis rejoint quelques chantiers architecturaux parisiens pour lesquels il produit des
sculptures d’ornementation. En multipliant ces expériences, Dalou se positionne progressivement comme l’un des meilleurs sculpteurs de sa génération. Grâce à l’intervention de son ami Eugène Legrain (1837-
1915) le jeune artiste est appelé à participer au grand chantier de l’hôtel de la marquise de Païva avenue des Champs-Élysées, pour lequel il livre quatre petits bas-reliefs, une Bacchante, deux amours et quatre médaillons ornant les voussures d’un salon.
L’année 1870 révèle son premier succès officiel : l’État lui achète la Brodeuse qu’il présente au Salon.
À 32 ans, il est un membre actif du Club républicain du 6e arrondissement de Paris et de la Fédération des artistes qui le nomment, tout comme les peintres Achille Oudinot (1820-1891) et Jules Héreau (1829-1879), à l’administration du musée du Louvre afin d’empêcher son pillage.
Cependant, sa contribution au soulèvement de la Commune le contraint à s’exiler en Angleterre l’année suivante. À Londres, il expose au Salon de la Royal Academy où son travail est vivement apprécié et ses oeuvres trouvent aisément acquéreurs. En parallèle de ses envois aux Salons et de ses oeuvres personnelles,
l’artiste se taille une place dans la haute société londonienne. Il produit de prestigieuses effigies en buste de personnages réputés et plus encore, se rapproche de la reine Victoria qui lui réclame la maquette d’un monument commémorant la disparition de ses petits-enfants morts en bas-âge pour sa chapelle de Frogmore à Windsor.
Après ces quelques années passées Outre-Manche, la condamnation de l’artiste par le 3e Conseil de guerre est levée en 1879 et Dalou rentre en France. Dès lors, les commandes officielles affluent. Le conseil municipal de Paris lui commande en 1880 le groupe monumental du Triomphe de la République pour la place de la Nation. L’année suivante, sur recommandation de Léon Gambetta, il est chargé d’exécuter un basrelief
représentant Mirabeau répondant à Dreux-Brézé pour le palais Bourbon avant de produire le bas-relief de La Fraternité puis le Monument à Delacroix, États généraux, séance du 23 juin 1789.
Ces travaux marquent le début d’une longue série de monuments publics commandés pour la capitale.
Notre oeuvre témoigne de l’importance de la commande publique dans la carrière de l’artiste. Par un arrêté du 26 avril 1886, Dalou se voit confier la réalisation d’une statue en pierre de 2,25 mètres de hauteur, destinée à l’une des niches du Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Elle représente l’une des plus grandes figures scientifiques du siècle dernier, Antoine-Laurent de Lavoisier (1743-1794), chimiste de renom à qui l’on
attribue l’origine de la célèbre maxime « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » et auteur du Traité élémentaire de chimie paru en 1789 considéré comme le premier manuel de la chimie moderne. Bien que loué pour son ingéniosité mathématique, sa vision économique ainsi que philosophique, Lavoisier est guillotiné
place de la Révolution le 8 mai 1794 à l’âge de 50 ans. Indigné par la décision du tribunal révolutionnaire, le mathématicien Louis de Lagrange (1736-1813) commenta « (i)l ne leur a fallu qu’un moment pour faire tomber cette tête et cent années, peut-être, ne suffiront pas pour en reproduire une semblable »
L’artiste présente une première maquette en plâtre à l’administration parisienne, aujourd’hui conservée au Petit Palais (ill. 1). Le scientifique émérite est représenté assis sur un tabouret aux pieds cannelés d’époque Louis XVI, sa jambe droite tendue en avant repose sur son genou gauche.
Le marquis est penché en avant, s’appuyant sur son coude posé sur sa jambe, la tête retenue dans la paume de sa main droite. Dalou profite ingénieusement de cette composition en plâtre pour alimenter sa notoriété en l’exposant fièrement au Salon
de la Société nationale des Beaux-Arts en 1890 (sous le titre Modèle de la statue de Lavoisier, n°1256). Son succès est total : l’oeuvre illustre la virtuosité de sa main et émerveille les esprits.
Pour arriver à une telle réussite, Dalou produit un second plâtre offrant quelques infimes différences par rapport à la première version. Il s’agit du plâtre que nous présentons ici, l’une des rares versions originales réalisée par la main de l’artiste lui-même qui nous soit parvenue. L’oeuvre échappa heureusement à la destruction, pratique courante de l’artiste, lorsqu’il l’offrit à Charles Auzoux (1836-1922) son protecteur et ami. De 21 ans son cadet, les deux hommes se rencontrent en 1884 : Auzoux est un jeune avoué, issu d’une famille bourgeoise, passionné par l’art de son temps, Dalou est un sculpteur au faîte de sa gloire. En se positionnant comme défenseur des arts, l’homme de droit devient progressivement l’intime des plus grands noms de la sculpture dont Carpeaux, Rodin, Desbois, Falguière et Carriès.
Contre toute attente, un lien indéfectible d’amitié se tisse ainsi entre les deux personnalités pourtant issues de milieux tout à fait opposés. Chez Dalou, Auzoux admire d’une part le féroce républicain qui avait connu la misère et d’autre part, le génie créateur qui, malgré son succès, avait conservé ses convictions politiques.
Ami, protecteur et conseiller, au fil de ces dix-huit années Auzoux reçoit de Dalou de nombreuses créations, en signe de reconnaissance, dont notre plâtre est un merveilleux exemple. En 1898, Dalou esquisse par ailleurs un portrait en buste de son ami qu’il n’achève qu’à la veille de sa mort et dédicace « A CHARLES AUZOUX Témoignage d’affectueuse reconnaissance 7 avril 1902 DALOU » (ill. 2). À la mort du sculpteur, Auzoux devient son exécuteur testamentaire. Il participe de ce fait à la cession de l’atelier de l’artiste à la ville de Paris et plus encore, à sa mise en valeur dans une salle dédiée au Petit Palais en 1905.
Dalou souhaitait conserver la main sur sa production d’oeuvres. Or, dans une volonté de diffusion d’une version réduite de son oeuvre monumentale, il accepta un projet d’édition de son oeuvre en bronze par un contrat exclusif passé avec la maison Susse frère pour une durée de vingt-cinq ans (ill. 3). Il s’agit de l’un des rares contrats réalisés du vivant de l’artiste. La hauteur de ces pièces varie entre 29 et 105 cm de hauteur.
L’oeuvre de Dalou représentant Antoine-Laurent de Lavoisier assis existe donc en trois matériaux distincts, dont la différence majeure réside dans l’élément sur lequel est assise la figure : un tabouret Louis XVI dans la version en plâtre, un banc dans la version en bronze et enfin un fauteuil dans la version monumentale en pierre de Tercé.
Travailleur infatigable, artiste engagé, Dalou fut loué pour la virtuosité et la rapidité de sa main à produire des oeuvres servant la République, coeur de son ambition artistique. Féroce républicain certes, l’artiste fut aussi fasciné par le dernier siècle de l’Ancien Régime, héritage qu’il exprime à travers l’illustration de quelques personnages illustres dont Antoine-Laurent de Lavoisier, figure incontournable du siècle des Lumières.
Au-delà de l’artiste, Dalou fut aussi un père aimant. Il réalisa de nombreuses oeuvres intimes dont de délicates scènes de maternité qu’il titra allégoriquement Charité, traduisant la personnalité d’un homme profondément sensible et pudique.
M.O