Sanguine
Artiste inventif et dessinateur talentueux, Bernard Picart avait étudié la gravure chez son père Etienne Picart, dit le Romain. Il poursuivit sa formation auprès de Benoît Audran I, puis de Sébastien Leclerc, à partir de 1689. Il obtiendra maintes commandes par le biais de ce dernier. Quittant la France en 1696, il séjourna deux ans à Anvers, où l’Académie lui décerna un prix de dessin, puis aux Pays-Bas où il illustra plusieurs publications. Il quitta à nouveau sa terre natale en 1708, à la mort de sa femme et de ses enfants. Il n’atteindra jamais la Suède pour laquelle il s’était embarqué. On le trouve en 1710 à La Haye, et l’année suivante à Amsterdam, alors capitale du livre. Picart s’y remaria, se convertit au protestantisme, et s’installa définitivement comme marchand et éditeur d’estampes et de livres, avec la mention d’édition : « A Amsterdam chez B. Picart, sur le Singel à l’Etoile »
Travailleur assidu, Picart se consacra essentiellement à l’illustration d’ouvrages, parmi lesquels le plus célèbre décrit en neuf volumes les Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde. Il explora toutes sortes de sujets au cours de sa carrière, des copies de maîtres anciens aux études de Costumes français et étrangers, des compositions allégoriques à l’Iliade.
Notre Allégorie de la mer reflète les qualités de dessinateur de Bernard Picart, qui s’exerçaient avec une grande liberté. La composition révèle à la fois la finesse de son observation et la fertilité de son invention.
L’artiste a mis en scène un cortège maritime de tritons et sirènes. Selon la mythologie grecque, ces créatures aux longues queues de poissons précédaient l’arrivée de Poséidon. Certaines arborent une chevelure en goémon, telles que les décrivaient Pausanias au IIe siècle. Deux tritons se tiennent sur une barque chargée des innombrables richesses de l’Océan : homards et étoiles de mer, araignées et crabes, raies bouclées ou sardines. Une sirène et un triton tirent ce char fastueux en sonnant dans de longues coques recourbées. L’instrument annonçant le dieu avait également pour fonction de calmer les tempêtes. Dans les eaux, tout autour, de multiples créatures s’agitent. Une sirène retient un dauphin, d’autres portent le fruit de leur pêche au bout d’une pique ou dans un panier ; au loin, un homme nu, debout sur deux chevaux, brandit un trident. A l’arrière-plan, le rivage laisse la plage aux montagnes, que seul anime un petit temple en rotonde.
Picart manie ici la sanguine avec une extrême finesse ; les contrastes du médium, rouge sang, s’atténuent en nombreuses nuances pour signifier les différents plans. Le souci du détail n’altère pas la souplesse des corps, finement modelés, ni la variété des trophées maritimes. On retrouve la même manière dans une autre sanguine du maître, la Rencontre des chasseurs, conservée au Musée des Beaux-arts de Dijon.
On croise à maintes reprises l’univers maritime fantastique dans l’œuvre de Picart. Les tritons sonnant de la conque ornent notamment le projet de carrosse du duc d’Osuna (Musée du Louvre, Cabinet des Dessins). L’une des planches illustrant l’Iliade figure Neptune surgissant des eaux, sur un char en coquille tiré par des chevaux et escorté de tritons et dauphins. Ce même char, entouré de créatures à la finesse sculpturale, orne une gravure conservée au Département des Estampes de la Bibliothèque Nationale : Neptune se change en cheval, pour plaire à Cérès.
Bibliographie :
H. WIDAUER, Catalogue d’inventaire des dessins de l’Albertina, vol. X ; Die Französische Zeichnungen der Albertina. Vom Barock bis zum Beginnendent Rokoko, Vienna 2006, p. 208 – 216
Dessins français. Collections du Cabinet des dessins du Musée d’art et d’histoire de Genève, catalogue d’exposition, Genève ; Somogy, 2004
R.J.A. TE RIJDT, « Bernard Picart », in Delineavit et sculpsit, Amsterdam, n° 11, Décembre 1993