36,6 x 56,3 cm
1920.
Crayon, aquarelle et gouache sur papier.
Signé et daté en bas à droite L. Spilliaert 1920, titré au revers Amours
C’est dans « la Reine des Plages », la très mondaine cité balnéaire d’Ostende, que naquit Léon Spilliaert en 1881, au sein d’une famille de parfumeurs de luxe qui fournissait la cour de Léopold II. Sensible, rêveur et introverti, le jeune Spilliaert couvrit ses cahiers de dessins, et se passionna pour la littérature. Il lisait les écrivains symbolistes, et Nietzsche dont les écrits alimentèrent le tempérament tourmenté et douloureusement introspectif qui qualifia ses vingt premières années d’existence. L’Exposition Universelle de 1900, qu’il visita avec son père, joua un rôle décisif dans ses choix d’avenir.
La carrière de Spilliaert s’engagea très progressivement. Il étudia un an à l’académie des Beaux-arts de Bruges, puis travailla pour l’éditeur bruxellois Edmond Deman entre 1902 et 1904 : cet amateur d’art encourageait les jeunes artistes, dont il accrochait les toiles afin d’attirer l’attention d’éventuels acquéreurs. Sur ses cimaises, Spilliaert rejoignit James Ensor, Georges Lemmen, Fernand Khnopff, ou Théo Van Rysselberghe, mais son œuvre sombre et fantasmatique ne retint guère les acheteurs. Le travail d’Odilon Redon, que Deman collectionnait, marqua profondément Spilliaert. Après un passage à Paris en 1904, accueilli par Emile Verhaeren, l’artiste rentra à Ostende, et exposa pour la première fois en 1908, à 27 ans. Il travailla au sein de différents groupes, comme celui du « Kunst van Heden », où l’on trouvait également James Ensor. Son mariage, en 1915, et la naissance de sa fille Madeleine, jouèrent un rôle décisif dans l’équilibre de sa vie.
En 1920, année au cours de laquelle il exécuta Amours, les amoureux dans le parc, Léon Spilliaert et sa famille vivaient à Bruxelles, installés là depuis trois ans. En août 1920, il intégra le groupe « Sélection » fondé par Paul-Gustave Van Hecke et André De Ridder, au sein duquel son travail fut ardemment défendu. Il illustra régulièrement la revue du même nom, dans laquelle on lisait des vers d’Apollinaire ou de Tristan Tzara.
Né vingt ans après la génération symboliste, Spilliaert fait partie de ces artistes qui continuèrent de créer dans cette veine. Si ses débuts trahissent sa vie intérieure tourmentée, dans des œuvres hallucinantes où domine le noir, la nature, et particulièrement les arbres, occupèrent dès la fin des années 1910 une place prédominante dans son œuvre. Le peintre, qui privilégiait le papier et les médiums souples comme l’aquarelle, la gouache ou l’encre, ne travaillait guère sur le motif. Cet adepte de la marche qui, à Ostende, prenait les parcs ou les polders comme buts de promenade aussi volontiers que la mer, observait et enregistrait, puis composait. Ses œuvres sont empreintes d’une touche onirique, reflets d’atmosphères et d’impressions revisitées par la pensée.
Le peintre a dessiné ici un couple enlacé sur un banc, réduit à deux silhouettes au cœur de la nature généreuse qui les entoure. La vue dégagée du ciel au dessus des arbres situe la scène de nuit, à la lueur de la pleine lune. Une coulée d’ombre en descend, qui enveloppe les amants. Contrastant avec l’intensité de ces variations gris de Payne, brun Van Dyck et terre d’ombre naturelle, la végétation est formée de couleurs pastel, légères, posées sur un papier largement laissé en réserve. Des lavis de rose de garance, ocre jaune, vert oxyde de chrome et vert émeraude composent un feuillage en aplats, relevé en certains endroits de petites touches rectangulaires serrées, autour des branchages sinueux. Faisant abstraction de la nuit, la végétation lumineuse est celle d’une fin de printemps, où certains arbres encore en fleurs laissent progressivement place au feuillage estival. L’esprit de notre feuille, le type de touches, les lavis légers juxtaposés et la gamme chromatique caractérisent plusieurs œuvres de l’année 1920, à l’instar du Vieux poète (aquarelle sur papier, 1920, 35,3 x 54,8 cm, vente de Vuyst, 27 octobre 2012, n°201).
L’équilibre est atteint avec une grande économie de moyens, qui résume toute la grâce de Spilliaert. Son ami Paul Haeserts la résume dans un ouvrage qu’il lui consacre en 1941 : « Le génie de Spilliaert consiste à faire quelque chose avec presque rien – avec un détail agrandi, avec le relent d’un souvenir, avec un rapport imprévu de couleurs. Chaque œuvre est une audace de simplicité ».
Les couples jalonnent l’œuvre de l’artiste, et l’on mesure à l’aune de leurs différences l’évolution de son travail, constamment réinventé, depuis les Amoureux dans un parc de 1917 (aquarelle sur papier, 1917, 48 x 69 cm, vente De Vuyst, 10 mai 2008, n°418), l’année de son mariage, jusqu’au Couple dans un paysage de 1927 (Couple in a landscape, aquarelle sur papier, 27 x 27 cm, vente Christie’s, Amsterdam, n° 303). Au gré de cette carrière féconde, notre aquarelle, désormais dépourvue des angoisses des premiers temps, reflète l’intérêt croissant de l’artiste pour la nature, tout en demeurant empreinte d’une délicate mystique symboliste.
Nous remercions Mme Anne Adriaens-Pannier d’avoir confirmé l’authenticité de notre œuvre.
Bibliographie relative à l’œuvre
Norbert HOSTYN, Anne ADRIAENS-PANNIER, Léon Spilliaert. Paysages et arbres, cat. exp. Bruxelles, Galerie Patrick Lancz, 2016, p. 12, 20, cat 3, repr. p. 21.
Bibliographie générale
Alain JACOBS, Anne ADRIAENS-PANNIER, Léon Spilliaert dans les collections de la Bibliothèque royale de Belgique, cat. exp., Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, 2006.
Anne ADRIAENS-PANNIER, Léon Spilliaert. Un esprit libre, cat. exp. Bruxelles, Musées royaux des Beaux-arts de Belgique, 2006.
Anne ADRIAENS-PANNIER, Spilliaert : le regard de l’âme, Gand, Ludion, 2006.
Norbert HOSTYN, Léon Spilliaert : Vie et œuvre à travers la collection du Musée des Beaux-Arts d’Ostende, cat. exp., Ostende, 2006.