23 x 36.2 cm
Au revers : "Etudes de têtes" d’après l’oeuvre de Girodet, "Apothéose des héros français morts pour la patrie pendant la guerre de la Liberté" conservée à Rueil-Malmaison, châteaux de Malmaison et Bois-Préau.
Pierre noire et estompe sur papier beige.
« Le succès d’Aubry-Lecomte fut considérable : on l’appela le prince des lithographes, et ses contemporains disent que l’apparition d’une lithographie de lui faisait évènement comme celle d’un tableau de maître (…). » 1
Reconnu comme dessinateur et lithographe, Jean-Baptiste Aubry-Lecomte fut encouragé et soutenu par Anne-Louis Girodet (Montargis, 1767 – Paris, 1824). Sur ses conseils, il intègre l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts en 1818 en tant qu’élève. Il y recevra deux médailles d’or lors de l’Exposition nationale de 1824 et 1831. Au-delà de l’admiration qu’il voue à l’œuvre de Girodet, Aubry-Lecomte gravera aussi d’après les œuvres de Pierre-Paul Prud’hon (Cluny, 1758 – Paris, 1823), notamment des sujets mythologiques et des portraits.
Le sujet de notre dessin témoigne du regard attentif d’Aubry-Lecomte pour l’œuvre de Girodet. Dans une composition horizontale, les lignes douces et fluides définissent la figure endormie d’Ariane, dont les formes traitées en rondeur apportent volupté et sensibilité à l’image. Comme déposée délicatement dans un paysage, son corps semble dépourvu d’ossature. Sa pose lascive est un écho certain avec le travail de Girodet dont Le Sommeil d’Erigone (Montargis, musée Girodet) de 1791 est un exemple éclatant.
Dans une veine néoclassique, les jeux subtils de lumière traduisent un effet théâtral, accentué par la technique maîtrisée de l’estompe. Probablement réalisé sous la direction du maître, notre dessin, gravé par Aubry-Lecomte en 1822 (Paris, musée Carnavalet), est également empreint d’une sensitivité caractéristique du romantisme naissant en France dont la fascination pour la représentation du sommeil et de l’état de rêve en marque les prémices. Sentiments refoulés, état de subconscient, Aubry-Lecomte explore un état incontrôlable du corps humain, et tente de le matérialiser par le dessin. La douce lumière, les effets de matière et les chairs molles participent à plonger le spectateur dans une atmosphère paisible et propice au recueillement.
Plus intriguant encore, le revers de notre dessin présente une seconde esquisse qui n’est autre qu’une copie d’un détail de l’œuvre de Girodet, Apothéose des héros français morts pour la patrie pendant la guerre de la Liberté, »de 1801 (Rueil-Malmaison, Musée national de Malmaison et de Bois-Préau) dont on connaît de nombreuses esquisses par Girodet gravées en seize planches par Aubry-Lecomte et rassemblées sous le titre de Collection de têtes d’Etude. À travers une brume inquiétante, les ombres de visages des héros français reçus dans les Palais aériens d’Ossian2 semblent échappées d’un rêve. Leurs regards saisissants et hallucinés tournés vers la droite rappellent, là encore, la fascination pour l’état de rêve.
Considéré comme le lithographe attitré de Girodet, Aubry-Lecomte fut un élève si attentif que l’on peut encore confondre ses œuvres avec celles de son maître. En effet, l’élégance et la pureté de ses dessins remportèrent un franc succès auprès de ses contemporains. Son aisance dans l’utilisation de la pierre noire traduisant l’expression des sentiments le placent indéniablement comme un artiste romantique incontournable.
M.O.
1Beraldi Henri, Les graveurs du XIXe siècle, guide de l’amateur d’estampes modernes, Nogent-le-Roi, Jacques Laget, 1981, t. 1/2, p. 67.
2Les poèmes dits d’Ossian datant du IIIe siècle furent traduits à la fin du XVIIIe siècle et largement répandus en France. Anne-Louis Girodet y consacra une longue étude et de nombreux dessins.