Fusain, estompe et rehauts de blanc sur papier beige. Porte un n° 271 en haut à gauche. Annoté en bas à droite ‘BG. N°20. 30 juillet 1870. LB.’
S’il est aujourd’hui méconnu, François-Nicolas Chifflart doit plus à son caractère difficile qu’à l’absence de talent le fait d’être tombé dans l’oubli. Issu d’une lignée d’artisans audomarois, il intégra en 1843 l’Ecole des Beaux-arts de Paris dans l’atelier de Léon Cogniet (1794 – 1880). Grand Prix de Rome de peinture historique en 1851, Chifflart passa cinq années tumultueuses à la Villa Médicis. Sa sensibilité artistique originale s’y exacerba, doublée d’une indocilité de caractère qui le brouilla avec les instances académiques : loin de bénéficier des commandes inhérentes à son statut, il fut à son retour en France écarté des voies officielles.
Au Salon de 1859, ses deux fusains représentant Faust furent salués par Baudelaire : « M. Chifflart est un grand prix de Rome, et miracle ! il a une originalité. Le séjour dans la ville éternelle n’a pas éteint les forces de son esprit ». Mais ce premier succès ne dura pas : peu apprécié par l’Académie, Chifflart ne parvint pas à maintenir de lien avec ses quelques soutiens, que refroidit la rudesse de son caractère.
Se détournant de la peinture, l’artiste se consacra progressivement à l’eau-forte. Alliant liberté d’expression et perfection technique, il y entrevit de nouvelles perspectives. Son travail suscita l’admiration de Victor Hugo. Le poète fut marqué par ce « beau et profond talent », ces compositions « puissante et superbes ». Il l’accueillit chaleureusement à Guernesey en 1868, et lui obtint d’illustrer les Travailleurs de la mer dans une édition d’Albert Lacroix et Jules Hetzel. Chifflart, qui était un républicain plus idéaliste que révolutionnaire, fut très affecté par la Commune et connut une fin de carrière difficile ; l’amitié de Victor Hugo, pour lequel il continua à illustrer des œuvres, fut son principal réconfort.
On peut reconnaître dans notre feuille une étude pour un tableau perdu : La Reine Zénobie jetée dans le fleuve Araxe. Le Minneapolis Institute of Art en conserve un beau dessin préparatoire. Chifflart y a représenté, avec un sens dramatique aigu, le prince Rhadamiste s’apprêtant à jeter dans le fleuve Araxe sa femme Zénobie. Derrière eux, sous un ciel menaçant, se découpe la silhouette d’un cheval cabré.
La scène est tirée de l’œuvre maîtresse du dramaturge Prosper Jolyot de Crébillon (1674 – 1762), Rhadamiste et Zénobie, publiée en 1711. Après avoir assassiné son beau-père Mithridate, Rhadamiste tente de tuer sa femme Zénobie qu’il aime d’un amour jaloux, afin qu’elle ne tombe pas aux mains de leurs ennemis. La reine n’est en réalité pas morte, ce qui donne lieu à un drame complexe, tout en rebondissements.
Chifflart a réalisé ici une étude de détail, se concentrant sur le buste nu de Zénobie. A l’instar du dessin du Minneapolis, il a employé le fusain, qui souligne le fond sur lequel se découpe le modèle. Le bras droit s’articule étonnamment au torse présenté de trois-quarts : dans la composition finale, la main de Rhadamiste se placera entre l’épaule et la poitrine de la jeune femme. La chaire est souple, modelée par un fusain estompé jouant avec la réserve du papier. On retrouve ici les qualités du Chifflart dessinateur et aquafortiste, maître du noir et blanc en qui Victor Hugo voyait « le souffle du grand art du dix-neuvième siècle ».
Provenance :
France, collection particulière
Bibliographie :
V. SUEUR, François Chifflart, graveur et illustrateur, catalogue d’exposition, Musée d’Orsay, Paris : RMN, 1993
P. GEORGEL, François-Nicolas Chifflart, 1825 – 1901, catalogue d’exposition, Saint-Omer : Musée de l’Hôtel Sandelin, 1972