a-Etude de deux jambes d’une femme assise sur une draperie, tournée vers la gauche
Pierre noire, sanguine, craie blanche sur papier beige, filets d’encre brune rapportés, trace de signature dans le coin inférieur droit, traces de contrépreuve
22,5 x 16,5 cm
b-Etude de deux jambes d’une femme allongée de face avec une draperie
Sanguine, pierre noire, craie blanche sur papier beige, filet d’encre brune rapporté
11,2 x 25,5
c-Etude de main gauche tenant un tambourin
Sanguine sur papier beige
9,5 x 17 cm
d-Etude de deux jambes d’une femme de face allongée
Sanguine, quelques traces de craie blanche sur papier beige
14,2 x 22,4 cm
e-Etude de deux jambes d’une femme allongée, vue de l’arrière
Sanguine et craie blanche, sur papier beige, filet d’encre brune rapporté
9,5 x 18 cm
Les feuilles d’études de Boucher sur les détails des pieds et des mains de ses personnages sont parmi les plus attachantes et les moins connues. Celles qui sont parvenues jusqu’à nous montrent un souci du détail qui trahit l’importance que l’artiste leur accorde.
François Boucher a montré dès son premier dessin conservé à Ottawa, inventé à l’âge de 18 ans, sa maîtrise des compositions d’ensemble. Lorsqu’il est reçu à l’Académie royale comme peintre d’histoire en 1734, au retour d’Italie, il domine complètement aussi la mise en place, la mise en volume et le clair-obscur de ses personnages ; en revanche, avant de peindre un tableau, entre l’esquisse à l’huile ou le dessin donnant la première idée de composition, et le tableau définitif, il commence en ces mêmes années 1735 à se livrer dans l’atelier à un travail patient d’approche des motifs de pieds et de mains. Leur mise au point devient en effet indispensable, à la fois parce que lui-même désormais professeur à l’académie les enseigne à ses élèves et parce que les commandes de tableaux à sujets mythologiques ou de pastorales, qui rencontrent la faveur immédiate des amateurs, comportent évidemment ce genre de motif vu de près, difficile à maîtriser pour un artiste plus sensible au geste et à l’attitude qu’au détail.
Les premières études conservées concernent la « commande Derbais » de 1732-1734, elles apparaissent généralement sur des grandes feuilles où elles sont associées à d’autres motifs préparatoires aux tableaux (visages, corps, draperies) . Autour de 1740 seulement apparaissent des études isolées sur des feuilles plus petites, réalisées à la sanguine rehaussée souvent de craie blanche et quelquefois de pierre noire comme dans les dessins étudiés ici. Preuve indirecte de l’écueil que représente le motif pour le peintre, ces études sont liées à un motif précis d’un tableau et sont rarement réutilisées. Elles sont par conséquent datables les unes par rapport aux autres et permettent de suivre une évolution constante chez l’artiste pendant toute sa carrière. Le musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon conserve par exemple un groupe de dessins allant des années 1740 aux années 1750, qui comporte le buste et la main de Vénus préparatoire au tableau peint pour Louis XV en 1741, une main de La Tragédie du Cabinet des Médailles, elle aussi de 1741, une de la courtisane de La Toilette de 1742, les deux mains d’hommes pour Vertumne dans le tableau de Columbus de 1749, la main d’Issé pour le tableau de Tours de 1750, Apollon révélant sa divinité à la bergère Issé .
Souvent, ces feuilles ont été redécoupées pour être montées ensemble. Ce fut le cas probablement pour l’ensemble de Besançon, et aussi pour les feuilles étudiées ici. Parmi ces cinq études, celle montrant les jambes et les pieds d’une femme assise de dos (Fig.e) est importante parce qu’elle est la première en date ; c’est un rare dessin de jeunesse sur le sujet, à placer dans les tous premiers connus, vers 1735, en raison de l’aspect charnu et ramassé de pieds fortement marqués par l’influence nordique, qui rappellent par exemple ceux de l’homme endormi au premier plan de La Ferme de Munich, des suivantes de L’Enlèvement d’Europe de la Wallace collection de Londres ou de la femme assise pour Le Retour du Marché . Ces deux pieds sont une étude de ceux de la nymphe allongée de l’Etude de nymphes de Tours préparatoire à Mercure confiant Bacchus aux nymphes de Nysa datable autour de 1734 . Lorsqu’il peint une autre nymphe pour l’hôtel de Langonnay rue de Varenne en 1739, François Boucher s’en souvient encore mais le motif est cette fois en partie caché par un drapé et traité avec plus de naturel .
La belle étude de jambes verticale aux trois crayons (Fig.a) présente l’aspect particulier d’un dessin charnière, à la fois très achevé pour l’une des jambes avec une seconde jambe seulement mise en place par un jeu de lignes ; cet aspect oriente vers les années 1740. Dans le tableau des Trois grâces qui enchaînent l’amour de l’Hôtel de Soubise, on retrouve dans la seule jambe bien visible de la femme de droite, très travaillée, les mêmes ombres en creux que dans le dessin, même si la cuisse est un peu plus courte .
Les autres dessins se situent après 1740 : on voit bien que les études de jambes y sont plus élégantes, moins rustiques, avec des pieds effilés traités comme des arabesques. L’étude de jambes allongées à la sanguine (Fig. d) semble liée au tableau perdu de La Musique pastorale des collections du duc de Chartres, daté de 1743 ; celle aux trois crayons (Fig.b) prépare au tableau La lettre d’amour signé daté de 1745, propriété de madame de Pompadour à Bellevue ; les rehauts de blanc sur les cuisses et la pointe des pieds y sont exactement posés comme dans le tableau, preuve que Boucher se lance dans cette étude de détail juste avant de passer à une peinture dont il connaît déjà les effets d’ombre et de lumière. L’étude de main (Fig. c.) est strictement contemporaine, il s’agit de celle de l’une des deux bacchantes jouant de la musique du dessus de porte Les Bacchantes peint pour Bellevue, aujourd’hui au De Young Memorial museum de San Francisco ; le trait de sanguine en bas du dessin est un morceau coupé de la draperie de cette bacchante.
L’historique de cet ensemble est difficile à établir, d’autant plus que le montage ancien est perdu ; un seul exemple subsiste de ces dessins présentés ensemble : il s’agit d’une dizaine d’études des années 1742 à 1765 rassemblées dans un montage François Renaud . Au XVIIIe siècle, ces feuilles ont peu circulé car elles étaient conservées pieusement par les élèves : ainsi, Charles Michel Ange Challe avait un recueil de « cent cinquante sept études de pieds, mains, figures & compositions » dont la plupart de Boucher dans un petit volume relié (n°976 de sa vente du 9 mars 1778). Chez les deux peintres gendres de Boucher disparus tous les deux avant leur beau-père, elles étaient très nombreuses, comme si l’artiste avait voulu leur léguer : le n°95 de la vente après décès de Jean-Baptiste Deshayes (26 mars 1765) décrit « cinquante études de mains, bras, jambes et pieds, les unes à la pierre noire, les autres à la sanguine » par Boucher, et il en existe chez Pierre-Antoine Baudoin plus d’un centaine (vente du 15 février 1770) .
Françoise Joulie
Provenance :
France, collection particulière