36,2 x 51,3
Plume et encre noire, huile en camaieu de bleu sur papier marouflé sur toile
Cadre en bois doré à décor d’entrelacs, feuillages et feuilles d’acanthe d’époque
Louis XV
Provenance :
• Esquisse probablement présentée aux services du Roi en 1742 pour le château de Choisy
• France, collection particulière
L’esquisse pour Le Chinois Galant est préparatoire au tableau du même sujet conservé dans la Davids Samling de Copenhague (inv. B 275, fig.1). Le tableau est signé et daté de 1742 comme son pendant Le Thé à la Chinoise (Aurora Art Fund) . L’esquisse préparatoire sur papier étudiée ici est précieuse par le raffinement de son exécution et les informations qu’elle fournit sur le métier de François Boucher. L’examen de ce dessin rehaussé montre une mise en place sous - jacente à la plume et encre noire, très diluée et légère dans les fonds clairs et très appuyée dans les arabesques décoratives du premier plan dans lesquelles elle est visible un peu partout sous les rehauts de bleu et de blanc posés au pinceau et à l’huile. Cette technique sous - jacente à la plume accompagnée de quelques hachures discrètes place d’emblée le dessin avant 1745, car dans les années qui suivent il aurait probablement comporté dans sa mise en place une estompe pour procéder à la répartition des masses ; l’utilisation seule de la plume et encre noire est donc ici parfaitement conforme à la date connue du tableau auquel prépare l’esquisse.
On remarque en comparant esquisse et tableau de multiples et infimes différences dans la disposition des feuilles, des branchages, des volutes qui témoignent du processus créatif à l’œuvre : l’artiste en passant à l’exécution du tableau respecte substantiellement sa première pensée sans en être prisonnier dans le détail. Plusieurs éléments témoignent aussi que cette pensée en cours d’élaboration reste par endroits prudente et conduit par exemple François Boucher à disposer très légèrement certains éléments comme les treillages tendus au - dessus des personnages, alors qu’ils seront très nettement définis dans le tableau. Les deux personnages centraux sont traités eux aussi avec beaucoup de retenue et presque de préciosité, en particulier dans le vêtement de la femme assise, dont l’artiste s’efforce malgré la difficulté des teintes monochromes de suggérer à petites touches la fourrure du bord du manteau, les reflets des soieries de la tunique et les rayures de la robe dans un traitement tout à fait conforme à celui du tableau. Les visages comme les mains des personnages sont un peu figés, les teintes monochromes permettant surtout d’exprimer les différents plans et les clair - obscurs de l’ensemble : on perçoit bien par exemple que le jeune chinois assis est situé près du premier plan d’arabesques et sera donc traité dans les tons sombres approchant de ce premier plan tandis que la femme en retrait sur le fond est légèrement mise en place avec des bleus allégés de blanc qui l’éloignent vers le fond de la composition. L’arabesque décorative très travaillée du premier plan suggère enfin que l’intégration dans le décor d’un panneau de boiserie est l’objectif principal, la scène de genre travaillée à la chinoise avec inclusion d’objets de curiosité, de bambous et de palmiers n’étant que décorative, sans véritable sujet.
François Boucher a toujours travaillé en s’appuyant sur des esquisses, le plus souvent sur toile, quelquefois sur papier ou sur carton (Paris, musée du Louvre, Département des Arts graphiques, inv. 26214). Elles lui permettent de définir sa première pensée et de proposer à l’éventuel commanditaire un projet précis. L’artiste se réserve ensuite de reprendre à part certaines figures et de modifier légèrement si nécessaire les postures ou les effets de clair-obscur et d’ombre avant de passer à l’exécution définitive du tableau. L’esquisse est recommandée aux artistes et couramment pratiquée car, quel que soit son support, elle permet d’exprimer en clair et presque de capturer la première pensée : Roger de Piles, théoricien des coloristes de la fin du XVIIe siècle, livre dans son Cours de peinture par principes de 1708 l’exacte définition de cet usage quand il précise que l’esquisse coloriée est faite « pour le repos et le soulagement de la mémoire » du peintre . Et, pour ces esquisses, le camaïeu monochrome est recommandé, car il est ” comme un dessin lavé où l’on observe la dégradation des objets pour former les lointains & faire fuir les objets par l’affaiblissement des teintes. Les clairs et les ombres doivent y être observés » . Chez Boucher ces esquisses monochromes sont le plus souvent des grisailles ou des camaieux de bruns, et plus rarement des roses ou des bleus . Le choix du bleu est ici impératif car le tableau auquel prépare cette esquisse doit être peint dans des tons bleus et inséré dans un décor bleu et blanc déjà existant, inspiré de la porcelaine chinoise. Les tons bleu - vert froids de l’esquisse, familiers à Boucher qui les utilise souvent, en particulier dans ses paysages d’Ile de France des années 1740, seront corrigés dans l’exécution définitive du tableau, car il est peint dans des tons bleu outremer profonds puisqu’il doit s’intégrer au décor de la Chambre bleue du château de Choisy, déjà installée et en partie meublée.
Le roi a acheté Choisy en 1739, et y a fait entreprendre aussitôt des travaux ; au - dessus de ses appartements qu’il a voulu en rez – de - chaussée , Louis XV a fait installer la chambre de madame de Mailly- Nesle. Cette favorite lui avait offert des aunes de soie bleue qu’il a décidé d’utiliser pour lui créer une « chambre bleue » , dans laquelle il fait faire dès 1741 « un lit de moire bleue et blanche avec la tapisserie et les sièges de même ; […]pour assortir à ce meuble, toute la chambre jusqu’à la corniche a été peinte en bleu et blanc » . La mode est à la chinoiserie et la chambre bleue reçoit d’abord en 1741 un aménagement provisoire en laque et porcelaine de Chine, du Japon et de Chantilly, commandé au marchand -mercier Julliot avec un complément de tissu commandé au tapissier Sallior. Mais le projet est plus luxueux : en juin 1742 le marchand mercier Hébert livre des objets de porcelaine de Chine bleu et blanc qui accentuent l’aspect exotique des décors et s’accordent au raffinement de somptueuses commodes et encoignures décorées de laque occidentale en vernis martin bleu et blanc, demandées à l’ébéniste Criaerd (Paris, musée du Louvre, inv. OA 11292 et OA 9533) livrées au même moment. Et trois dessus de portes sont commandés à François Boucher dans les mêmes chromatismes : l’un pour la cabinet de retraite est décrit comme « un dessus de porte en camayeux représentant des chinois » et les deux autres destinés à la chambre comme « deux dessus de porte idem à celui du cabinet » . Le soin apporté à ce dessin préparatoire s’explique par l’importance de cette commande royale, car il est d’usage que les artistes présentent à l’architecte avant l’exécution définitive leur travail d’esquisse. L’architecte Gabriel demandera par exemple à François Boucher en 1747 pour les appartements du dauphin, de » faire approuver ses esquisses et travailler » (Archives Nationales, Fonds O1 des Bâtiments du Roi, 1921 A). Ce fut sans doute le cas ici aussi.
Contemporains des huit esquisses du peintre pour La Tenture Chinoise, exposées au salon du Louvre entre le 25 août et le 21 septembre 1742, ces tableaux qui paraissent être les premiers tableaux de chevalet demandés à Boucher sur des sujets chinois, empruntent à la tenture certains motifs et personnages comme la femme assise du Thé à la Chinoise directement inspirée de celle placée en face de l’empereur dans Le Festin de l’Empereur de Chine ( Besançon, musée d’Art et d’Archéologie, inv. D 843 -1-2 ), ce qui confirme la simultanéité de leur exécution. Les tapisseries sur ces motifs chinois sortiront des ateliers de Beauvais à partir de juillet 1743, et seront exportées jusqu’en Chine. Or les tableaux de chinoiseries peints en 1742 pour Choisy semblent accompagner l’arrivée à la Cour d’une nouvelle favorite, madame de La Tournelle, future duchesse de Chateauroux, sœur et rivale de madame de Mailly précédente maîtresse du roi qu’elle parvient à supplanter au printemps puis à chasser définitivement de la cour dans le courant de l’automne 1742, si l’on se réfère aux Mémoires du duc de Luynes , de madame de Brancas et du duc de Richelieu. Dans cette luxueuse chambre bleue de Choisy, dans laquelle on sait qu’elle a logé entre le 12 et le 16 novembre 1742, madame de la Tournelle rend les armes à la fin de novembre. Or il se trouve, hasard ou choix bien déterminé de sa part, qu’elle était apparue au roi le 6 février 1742 lors du carnaval du Mardi gras chez le Dauphin à Versailles, « masquée en chinoise » dans un quadrille entièrement vêtu de bleu et de blanc .
Françoise Joulie