21,8 x 16,7 cm
Sanguine. Annoté en bas à droite à l’encre brune : Boucher. f. En haut à droite, numéro 33 à l’encre brune. Même numéro de la même main au verso.
Filigrane du fabricant Jérôme Cusson de Riom (Thiers), attesté entre 1725 et 1735 environ : HJ (fleur de lys) CVSSON (dans un ovale étiré).
Provenance
• Collection Christian Hammer (1818-1905), Stockholm (Lugt 1237 au verso).
• Sa vente, Cologne, J. M. Heberle, 30 juin 1897, lot 3065 (comme François Boucher).
• Collection Edward Habich (1818-1901), Boston et Cassel (Lugt 862 sur l’ancien montage).
• Sa vente, Stuttgart, H. G. Gutekunst, 27 avril 1899, lot 122 (comme François Boucher).
• Collection William Bateson (1861-1926), Londres (Lugt 2604a en bas à droite).
• Sa vente, Londres, Sotheby’s, 23-24 avril 1929, lot 133 (comme François Boucher).
• Collection Carl Robert Rudolf (1884-1974), Londres (Lugt 2811b au verso).
• Sa vente, Londres, Sotheby’s, 2 novembre 1949, lot 2 (comme François Boucher).
• Acheté par Keith Vaughan (1912-1977), Londres.
• Grande-Bretagne, collection particulière.
Les têtes d’études de Boucher en costumes sont rares et ses sujets exotiques liés aux turqueries également. Les circonstances en sont généralement connues car il s’agit de commandes précises.
La plus célèbre et la plus documentée, à considérer comme première hypothèse ici pour une étude de personnage costumé, est la commande par le roi pour ses petits appartements de Versailles de deux sujets de La Chasse du léopard et de La Chasse du crocodile, respectivement peints en 1736 et 1739. Or il est exclu que notre dessin puisse être mis en relation avec l’un ou l’autre des deux tableaux. Il est clair d’abord que le motif ne s’y trouve pas, mais cela ne constitue pas un véritable argument. Il est évident surtout que l’écriture du dessin étudié ici est celle de la maturité, c’est-à-dire des années 1745 ; elle est plus fermée et ne présente plus les caractéristiques de souplesse et de fluidité de celle des années 1735. De plus, la sérénité de cette tête calme ne peut être adaptée à des sujets aussi violents que ceux des chasses exotiques. D’ailleurs, la principale difficulté de Boucher dans les deux sujets de chasses exotiques pour le roi a été la nécessité de représenter très exceptionnellement des passions comme la peur, la violence, le courage, la détermination, la souffrance et qui lui sont étrangères. La méthode utilisée a été simple : puisqu’en 1735 il est adjoint à professeur et en 1737 professeur à l’Académie, il se réfère en 1736 -1739 dans les dessins conservés pour cette commande de Versailles aux traités d’expression des passions utilisés par l’Académie royale et en particulier à celui de Charles Le Brun. Il en tire sur papier pour ses tableaux des visages presque caricaturaux, qui, traduits en peinture, sont évidemment très efficaces. C’est d’ailleurs le moment où Boucher acteur du rocaille travaille sur les masques et visages grimaçants tirés en particulier de Gillot . De tout cela on ne perçoit rien ici : ce visage frappe au contraire par sa sérénité et la vie qui s’en dégage.
S’il ne peut donc s’agir d’une étude pour les sujets de La Chasse du léopard et de La Chasse du crocodile, il existe un autre ensemble qui parait mieux convenir par la date et l’esprit : ce sont les dessins fournis par Boucher pour les Mœurs et Usages des Turcs, leur religion, leur gouvernement civil militaire et politique avec un abrégé de l’histoire ottomane par M. Guer avocat, publication chez Coustelier à Paris en 1746. Boucher donne à graver à Duflos des dessins « finis » pour l’estampe ; faits à la pierre noire, ils sont de petite taille puisqu’ils sont à peu près au format de la gravure. Ils sont fouillés et très précis, pour permettre au graveur d’être le plus fidèle possible. Ces dessins étaient la propriété du collectionneur Lempereur, et il est possible que Boucher, pour les réaliser, ait fait d’abord l’étude de quelques détails de têtes pour atteindre à une plus grande vraisemblance. C’est ce qu’il fait pour les sujets de la Tenture chinoise de 1742, avec quelques rares études de visages chinois, qui techniquement mis au point feront ensuite l’objet de variations multiples. Les dessins finis des scènes d’ensembles à graver pour les Mœurs et usages des Turcs (douze vignettes dont un frontispice et sept bandeaux) faisaient tous partie de la collection Lempereur, et constituent les numéros 543 à 548 de sa vente de 1773, avec un autre vendu séparément sous le no 535, pour une page du tome I qui finalement n’a pas été insérée et dont le titre donné par Duflos est La mort d’Irène.
La publication de cet ouvrage illustré par Boucher comme d’ailleurs le Mahomet II de Voltaire écrit en 1739, joué en 1741-1742 puis interdit, imprimé à Amsterdam en 1746, coïncide avec la venue à Paris en janvier 1742 d’une ambassade turque reçue par Louis XV, qui a inspiré les artistes du temps, en particulier Étienne Parrocel. On ne peut exclure que Boucher ait ici en mémoire un personnage qu’il aurait vu.
Toutefois, l’artiste ne fait pas ici un portrait, l’essentiel des effets pittoresques est suggéré par l’importance des sourcils et des moustaches tombantes, et le travail sur les accessoires du costume et les contrastes de matière entre le col de fourrure – ajouté car il est repassé sur le tracé de l’épaule sous jacent –, et le drapé clair du vêtement qui suggère une étoffe brillante. Le caractère exotique du personnage et sa mise en volume sont obtenus par un second plan suggéré par le pan du turban qui passe derrière l’oreille et les plis du même turban qui mettent en ombre de manière très contrastée le haut du visage (technique caractéristique des années 1740), et en pleine lumière les pommettes. Le regard clair en devient très présent. C’est peut-être à ce regard vivant et lumineux que l’on peut le mieux reconnaître François Boucher car il n’existe aucun élément de comparaison avec ce dessin, excepté une gravure de François Gonord d’après une œuvre non localisée du maître . La mode des turqueries va prendre avec madame de Pompadour après 1745 un nouvel essor, il ne peut pourtant ici être question d’un dessin plus tardif que les années 1745.
Françoise Joulie