23,1 x 35,9 cm
Plume, lavis d’encre brune sur traits de pierre noire sur papier vergé filigrané
Vers 1740
Provenance :
• France, collection particulière
Bibliographie :
• Detlev Baron Von Hadeln, The Drawings of Giovanni Battista Tiepolo, Volume I, The Pegasus Press, Paris, 1928
• Hélène Gasnault, Giulia Longo, Les Tiepolo : invention et virtuosité à Venise, [cat.exp], Beaux-Arts de Paris, Cabinet des dessins et des estampes Jean Bonna, 22 mars - 30 juin 2024, Paris : Beaux-arts de Paris éditions : Ministère de la culture, 2024
• William Barcham, Tiepolo’s pictorial imagination : drawings for Palazzo Clerici, the annual Thaw lecture 2016, New York N.Y. : Drawing Institute The Morgan Library & Museum, 2017
C’est à Venise que naît le génie artistique de Giovanni Battista Tiepolo. Le jeune homme démontre de manière précoce un attrait particulier pour le dessin et la peinture. Il est ainsi envoyé en apprentissage chez Gregorio Lazzarini (1655-1730), peintre de renom de la ville. Les informations nous manquent concernant la période entre le début et la fin de sa formation à 23 ans, lorsqu’il épouse Cécile Guardi, sœur du fameux peintre de védute. Ses œuvres de jeunesse marquent d’ores et déjà un don inné dans la précision plastique des figures, et une palette éclaircie en nette contradiction avec l’art de Giovanni Battista Piazzetta (1682-1754) qui l’avait pourtant fasciné quelques années auparavant.
Évoluant dans un milieu aristocratique, son œuvre met en lumière l’atmosphère d’insouciance qui règne dans la république de Venise du XVIIIe siècle. Loué pour son audace et sa fantaisie féconde, Tiepolo porte le grand décor enivrant des grandes demeures à son plus haut degré d’exigence. Appelé à Udine, Milan, Bergame, Vicence ou encore Vérone, les commandes vertigineuses se multiplient et lui permettent d’acquérir de nombreux domaines privés dans la province de Venise, entre autres.
Quittant la Vénétie pour rejoindre la Lombardie, Tiepolo qui n’a encore que trente-cinq ans, peint à Milan. Il répond à une commande destinée à orner les plafonds d’une maison de la rue Olmetto, propriété depuis le début du XVIIIe siècle de la famille Archinto.
Vers le milieu de l’année 1740, il reçoit la commande du Palazzo Clerici et Dugnani. Ce second séjour à Milan durera 3 années, compte tenu du grand nombre de commandes qu’il reçoit et qu’il réalise seul ou en collaboration avec quelques élèves. Le palais de la rue Clerici, aujourd’hui siège du Tribunal civil, appartenait à Charles Visconti depuis 1653 lorsqu’il fut acheté par le docteur Charles Clerici. En 1736, il devient la propriété du maréchal George Antoine Clerici, ayant à cœur de le restaurer pour en faire une somptueuse demeure. Pour cela, il choisit le peintre le plus grandiose de Venise connu aux alentours. Tiepolo déploie sur une voûte de plus de 22 mètres de longueur et de 5 mètres de largeur une œuvre intitulée La course du Soleil. Le quadrige de Phébus s’élance, accompagné de Mercure et Aurore dans un merveilleux envol d’étoffes qui n’est pas sans rappeler celui du Triomphe de Venise de Véronèse. La lumière, centre et sujet de la composition se doit être celle de l’esprit. Dans cette composition audacieuse, un ensemble de figures et d’architecture en trompe-l’œil courent le long de l’ensemble mêlant civilisation moderne et souvenirs de l’antique. Dans cet ensemble, des faunes et faunesses peints en grisaille sont disposés aux écoinçons et encadrent un fronton (ill. 1).
Pour ces réalisations de grande envergure, Tiepolo multiplie les esquisses. Notre dessin a probablement servi l’artiste comme inspiration dans les postures de ces créatures hybrides. Son exceptionnelle capacité d’invention nous a livré d’autres études de faunes – un thème plusieurs fois répété mais toujours réinventé – dont celle conservée aux Beaux-Arts de Paris en est un excellent exemple (ill. 2). Certaines esquisses peuvent être précisément reliées à des décors à fresques, d’autres sont considérées comme de purs exercices graphiques, un répertoire de formes pouvant servir d’autres projets.
Notre feuille met en avant la grande modernité de l’art de Tiepolo durant la décennie 1740-1750, considérée comme la plus féconde de son activité graphique.
Le maître conduit son œuvre au-delà du superficiel des conventions rocailles foisonnantes par une plasticité puissante construite grâce à ses esquisses. En peinture, son pinceau est habile et vif, il suit la tradition d’un art attaché au raffinement de l’invention et à la beauté des formes. En dessin, sa vive écriture dévoile une grande économie de moyen et la volonté de rendre visible une lumière éclatante en soulignant l’intensité des ombres. Notre feuille reflète ainsi de remarquables qualités techniques : des figures pleines d’allégresse dont les contours, d’une grande souplesse, sont traités au lavis. L’utilisation de ce dernier permet de rendre les effets de contraste et de profondeur. Cette pratique confère aussi un effet évanescent et vibrant qui rend instantanément une atmosphère vaporeuse propre à la main de l’artiste.
Dans cette pompe décorative que se veut être l’art vénitien au XVIIIe siècle, Giovanni Battista Tiepolo se démarque par le raffinement et la grâce de ses sujets. D’une imagination débordante et aventureuse, il cultive son sens du grandiose et laisse son empreinte dans de somptueuses demeures dont la soigneuse conservation permet aujourd’hui de nous rappeler que chacune de ses œuvres est une leçon d’érudition.
Sa renommée s’étend au-delà des frontières et notamment en Allemagne où il est appelé à décorer la résidence de Wurtzbourg : une spectaculaire fresque mesurant plus de 30 mètres de long illuminant le grand escalier qui couronne véritablement sa carrière.
M.O