François BOUCHER (Paris, 1703-1770)

Femme assise en habit de soie dorée devant un rideau

52.4 x 37.5 cm

Vers 1748-1750.
Pierre noire, sanguine, craie blanche, estompe et rehauts de pastel noir, pastel de couleur jaune et bleu pâle.
Collé en plein sur un montage XIXème, annoté en bas à gauche à la plume et encre brune : 77.

Provenance
 Collection Alfred de Rothschild
 Collection de la comtesse Almina de Carnarvon
 Vente Christie’s du 22 mai 1925, n°6
 Collection particulière

Ces deux études de femmes discrètement rehaussées de pastel figurent parmi les plus belles feuilles de la maturité de François Boucher. Elles appartiennent à un petit groupe de dessins de femmes en costume de cour d’une inspiration nouvelle dans son oeuvre. Leur écriture les place entre 1745 et 1750 par sa légèreté et sa maîtrise, et parce que les effets tourbillonnants des années de jeunesse ont disparu au profit d’un grand équilibre ; elles ne peuvent être plus tardives car elles comportent très peu de cette estompe que l’artiste utilisera de plus en plus par la suite pour placer d’abord sur la feuille les masses des ombres sous - jacentes avant de définir les contours de la composition définitive, procédé que l’on verra se généraliser après 1750 dans des dessins de toutes techniques et de tous sujets.
En ces années 1745 -1750 François Boucher est un artiste parisien de premier plan. Il est peintre du roi, académicien et professeur à l’Académie royale depuis dix ans. Avant d’être le peintre de madame de Pompadour, dès 1735, il a travaillé pour la reine Marie Leczinska, puis pour Louis XV dans les palais de Versailles, Fontainebleau, Choisy, Marly. Tout en produisant des sujets mythologiques et religieux puisqu’il est peintre d’histoire, il s’est fait aussi auprès des amateurs une spécialité de scènes pastorales très appréciées. En 1732, à peine revenu d’Italie, il répondait déjà à ses premières commandes parisiennes. Dès 1735 la Manufacture de Beauvais lui demandait ses premiers cartons de tapisserie ; pour elle, jusqu’en 1755, il invente diverses tentures qui donnent à la manufacture un élan novateur décisif ; il travaille également à des décors pour l’Opéra et l’Opéra - Comique et après 1748 apporte son concours à une autre manufacture, celle des porcelaine de Vincennes- Sèvres. Là aussi il innove en donnant aux ateliers les dessins de pièces de forme en rapport direct avec le thème de chacune des tentures tissée à Beauvais.

A ce point de sa carrière, en ces années 1745 -1750 , sa production présente de nouvelles sources d’inspiration à la fois dans ce domaine de la tapisserie lorsqu’il fournit les cartons de La Noble Pastorale (projetée en 1748, produite à Beauvais à partir 1755), dans celui de la porcelaine lorsqu’il donne à Vincennes de nouveaux sujets de biscuit représentant des jeunes gens et jeunes filles dans d’élégants costumes, et aussi dans ses tableaux. C’est le moment de ces grands dessins de jeunes femmes élégantes en costume de cour, dont certains seront utilisés dans les compositions de La Noble Pastorale et dans des tableaux contemporains.
Ces études de femmes en pied, aux crayons de pierre noire et de sanguine, rehaussés de craie blanche ou de pastel, connues en une seule ou plusieurs versions, sont réalisées semble – t – il d’après nature, car on n’y détecte plus l’influence d’artistes comme Watteau ou de certains nordiques chez lesquels Boucher jeune allait chercher ses modèles. Les deux feuilles étudiées ici, exposées en 2012 au Danemark, y avaient autant de présence sur les cimaises que les plus beaux dessins de Boucher du Musée du Louvre présentés dans la même salle. Ces deux études sont appariées depuis au moins le milieu du XIXe siècle, ils ont la même taille et portent à l’encre deux numéros qui se suivent. Leur historique est prestigieux, puisqu’ avant d’être vendus en 1925 à Londres par Almina comtesse de Carnarvon, légataire universelle d’Alfred de Rothschild, ils figuraient ensemble dans la collection de cet amateur du XVIIIe siècle français (1842-1918)1. Considéré par Alastair Laing comme le plus grand collectionneur d’art français en Angleterre au XIXe siècle2, Alfred de Rothschild possédait aussi un autre dessin au pastel, n° 7 de la vente, et diverses peintures à sujets d’enfants exposées au Guildhall en 1898, tous vendus en même temps ; curieusement, dans le catalogue établi par la maison Christie’s en 1925, les titres des deux dessins étudiés ici sont donnés en français, avec une faute d’orthographe, comme si la célèbre maison de vente avait recopié une mention écrite sur un montage ou un cadre ancien, ce qui indiquerait une provenance française avant l’entrée chez M. de Rothschild. Les dessins ont été remontés, et peut-être légèrement recoupés, ce qui pose un difficile problème pour l’identification des numéros portés au bas de chacun d’eux. Le fait que ces numéros se suivent confirme bien que les deux dessins ont été appariés depuis le XVIIIe siècle, mais le nombre des occurrences de jeunes femmes en robe de soie debout ou assises dans les ventes anciennes et l’imprécision de leur description compliquent les recherches. Quoiqu’un peu plus petits, les deux plus proches sont les « deux sujets de femmes en pastel sous verre » n°13 d’une vente du 7 mai 1778, ( vente Donjeux ?) acquis par Basan, dont les dimensions sont après conversion de 48,6 cm x 37,8 cm. Ces deux « dessins en pastel » ne portent ni mention ni marque, mais ils ont dû très tôt être sous verre, comme toutes les oeuvres travaillées au pastel qui ne peuvent être conservées sans être protégées.
Les deux feuilles sont de qualité égale mais très différentes dans leur approche, celle de la femme assise étant une première idée avec des repentirs et l’autre un dessin abouti, « terminé » ou « fini » selon le vocabulaire du XVIIIe siècle. La première jeune femme est assise de profil dans un fauteuil aux moulures

caractéristiques de l’ébénisterie des années 1750, elle porte une robe de soie blanche aux reflets dorés. Tout en étant très élégant, le dessin est moins poussé dans le détail du visage et du vêtement que celui qui lui fait pendant. Il présente des repentirs visibles et des hésitations dans la mise en place du profil et de la main droite ; ces repentirs sont évidents par exemple sur le bras, d’abord mis en place légèrement à la pierre noire, puis déplacé, toujours à la pierre noire, et enfin repris comme il se doit à la sanguine, avec ce retour sur le motif dans un mélange de techniques caractéristique de l’artiste.
L’estompe, apparue dans les années 1750, y est plus présente que dans l’autre dessin, et les noirs profonds du pastel moins employés. Même si les effets obtenus sont différents , le détail de l’écriture est comparable : une étude attentive fait ressortir un traitement identique du bras dans les deux dessins, une même souplesse moelleuse des contours propre aux corps féminins de François Boucher, une reprise comparable du premier trait par un autre épais mêlant pierre noire et sanguine ; l’utilisation harmonieuse des hachures, le mélange des noirs et des rouges, la finesse du profil à la pierre noire reprise de sanguine, la chevelure dans laquelle on distingue également des rouges apparentent les deux dessins, dont on comprend qu’ils aient pu être très tôt associés. Il semble que le travail sur la robe dans le premier dessin ait été interrompu, alors que les blancs commençaient à être mariés à l’estompe pour donner avec cohérence les éclairages venant de gauche Dans un souci d’harmonie involontaire mais caractéristique, la forme des plis de la robe de soie épouse celle du pied du fauteuil, motif secondaire dont la menuiserie est traitée avec autorité. Il ressort de cette observation du premier dessin que tous les critères techniques propres à Boucher s’y retrouvent, et que la date vers laquelle ils orientent dans la carrière de l’artiste est celle des années 1748-1750.

Le second dessin présente dans l’ensemble un même traitement de la robe, mais un raffinement extrême caractérise le visage : ses contours posés avec une pierre noire légère, puis repris avec une seconde pierre noire plus épaisse, la sanguine claire des joues et du menton, plus foncée sur les bords du profil et sur l’oreille, la coiffure tracée à la pierre noire, délicatement soulignée de sanguine à peine visible pour donner des teintes brunes aux cheveux avant de reprendre le tout au crayon blanc sont remarquablement soignés. La transparence des yeux, l’intelligence du profil tranchent sur d’autres versions connues du même sujet. Le contour de la tête à l’arrière est très libre, il est repris avec un bleu de pastel qui en respecte tout le tracé ; les traits de blanc sur la collerette sont très autoritaires, de même que les carnations passant en dessous. Le fond du papier donne la couleur de la chair et le grain de la peau. La lumière tombe en principe de haut, ce qui est rare, elle vient donc sur les épaules, ce qui explique pourquoi elles sont peu contrastées alors que la robe et le corsage présentent des plis profonds, très sombres, traités avec du pastel noir . Curieusement, la main gauche dans le deuxième plan est à la fois soignée et sommaire, tandis que la main droite est beaucoup plus belle dans ses contours, ses carnations, ses effets d’ombre et ses blancs. La manche de baptiste au dessus du bras , avec ses « engageantes » raffinées , la souplesse moirée du tissu sont suggérées par des noirs et des blancs en petits traits fins légers et souples, associés avec l’estompe ; celle-ci permet de donner les reflets de la soie ou du satin brillant dont la robe est constituée. Elle est parcourue de reflets roses dont les valeurs sont cohérentes avec le reste du dessin ; de la même manière, l’estompe et les blancs sur la manche , le dos ou l’arrière de la robe se répondent sans aucune dissonance. Des reprises de pastel noir très tranché, passées sur cette estompe, sont venus en fin de travail renforcer les contrastes et faire ressortir les tons roses de la robe. Il existe enfin une hiérarchie des blancs qui ne trompe pas , entre ceux des plis , ceux du buste et de la manche, ceux du visage et la collerette. Comme dans le dessin précédent, tout oriente vers les années 1748 –1750. C’est pour Boucher le moment des cartons de la tenture de La Noble Pastorale, qui présente d’élégantes jeunes femmes en robe de soie, celui aussi où il échange avec le ministre de Suède à Paris Carl Fredrik Scheffer des lettres concernant la commande des Heures du Jour dépeintes pour la princesse Louise –Ulrique de Suède comme des jeunes femmes faisant la conversation ou sortant en habit de bal, et surtout le moment où il rencontre Jeanne Lenormant d’Etiolles, future madame de Pompadour, favorite officielle à partir de 1748, apparue pour la première fois à la cour en 1745 au cours des fêtes qui ont accompagné le mariage du Dauphin avec la princesse Marie -Thérèse d’Espagne en février 1745.

Contrairement à d’autres études de femmes en robe de cour de la même venue, ces deux oeuvres ne sont liées à aucun tableau connu, et ne se retrouvent pas non plus dans la tenture de La Noble Pastorale. La jeune femme assise n’est connue que par ce seul dessin, la jeune femme debout constitue un cas unique dans l’oeuvre car il en existe une dizaine d’exemplaires connus, à la pierre noire et craie blanche, rehaussés ou non de sanguine avec quelquefois des touches de pastel. La multiplication de ces dessins pourrait s’expliquer par l’importance du modèle représenté, mais on notera que cet exemplaire est le seul entièrement travaillé au pastel. L’extraordinaire qualité du profil et par contraste le peu d’intérêt du fond de jardin à l’évidence pourtant de la même main, le fait que ces études debout soient exécutées sur un fond de jardin peu caractérisé suggère que le sujet du pastel est cette femme en train de marcher, et que le décor ajouté est indifférent. L’hypothèse déjà évoquée en 2012 de possibles dessins cherchant à saisir la personnalité de la nouvelle favorite madame de Pompadour avant d’en faire le portrait peint revient ici avec insistance pour plusieurs raisons : Boucher était un dessinateur compulsif qui se vantait lui-même d’avoir réalisé plus de 10 000 dessins. Ceci suppose plusieurs dessins par jour. Il est donc impossible qu’il n’en ait pas fait un seul de la nouvelle favorite dont il réalisera une dizaine de portraits peints, étant de loin son peintre préféré. Techniquement, les dessins au crayon et au pastel offrent aux portraitistes une liberté de mouvement et une discrétion que la peinture posée empêche ; or François Boucher, qui n’est pas d’abord un portraitiste, a particulièrement besoin de cette approche qui peut être régulière en raison de sa facile mise en oeuvre et de la proximité de l’artiste avec l’illustre modèle. On remarque d’ailleurs que ces grandes robes de soie dans les dessins étudiés ici comme dans ceux de même venue des collections de Francfort, Stockholm etc…sont de lignes simples et ne sont jamais surchargés de dentelles ou de rubans comme dans les grands tableaux d’apparat peints par le peintre dans les mêmes années ( Munich, Alte Pinakotheck, 1756, Londres, The Wallace collection, 1759).

Enfin, ces deux dessins datent par leur écriture des années 1745 -1750 ; or Madame d’Etiolles future maitresse du roi apparait à la cour pour la première fois en février 1745 au cours d’une des fêtes accompagnant le mariage du Dauphin avec la princesse Marie - Thérèse d’Espagne célébré le 23 février. Les gravures de Charles-Nicolas Cochin représentant les fêtes entourant le mariage montrent que les femmes de la cour portent autour du cou cette année -là soit un ruban de couleur foncé soit cette collerette dite « à l’espagnole » remise au goût du jour à cette occasion. A l’exception de deux portraits seulement où elle ne la porte pas parce qu’elle porte un vêtement fermé jusqu’au cou (Londres, Victoria et Albert Museum , 1758) ou bien une liseuse en dentelle (Cambridge , The Fogg Art Museum, 1758), Madame de Pompadour utilise avec prédilection cette pièce vestimentaire dans tous les portraits que fait d’elle François Boucher jusqu’aux années 1764, même si cette collerette semble alors passée de mode. Si l’hypothèse séduisante avancée par Alastair Laing est juste (Boucher, Paris , Grand Palais, 1986, n°52) le premier tableau la représentant pourrait être contemporain des dessins étudiés ici puisque ce serait le portrait faussement appelé « de madame Bergeret » ( Washington , The National Gallery of Art, inv. 1946-7-3), daté de 1746 , qui aurait, selon lui toujours, été préparé par les deux esquisses du musée du Louvre (inv. RF 2142) et de Londres, Waddesdon Manor (inv. 965.1995 ) où elle porte bien cette collerette de dentelle à l’espagnole. Les deux dessins étudiés ici seraient donc parmi les tous premiers saisissant au vol, dans l’intimité, la gracieuse présence du prestigieux modèle.

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