18 x 15,5 cm
Circa 1810.
Pierre noire et rehauts de blanc sur papier bleu.
Au verso, paraphes de l’inventaire après décès de Girodet (Lugt 3005e).
Provenance
· Collection de l’artiste.
· Sa vente après décès, 11-25 avril 1825, partie du lot 330 (« Suite de vingt compositions, de petite dimension, les unes esquissées aux crayons noir et blanc sur papier bleu, les autres seulement au trait. Trois sont terminées à l’estompe et au crayon noir, sur papier blanc »).
· Lot adjugé 272 francs puis dispersé.
· Vente Dorotheum Vienne, 19 mars 2002, lot 26.
· Vente Sotheby’s Londres, 9 juillet 2003, lot 127 (comme Amour et Psyché).
· France, collection particulière.
Œuvre en rapport
Lithographié du vivant de l’artiste et sous sa direction par Joseph Dassy en 1820. Imprimé à C. Costans, Paris.
La volupté les guide et la pudeur soupire ;
Mais bannie aussitôt par l’Amour en délire,
Dans l’asyle discret Léandre est introduit,
Vers le lit virginal en triomphe conduit.
Là, de ses noirs cheveux aux tresses ondoyantes
Elle exprime l’écume de ses mains caressantes.
Les parfums les plus doux raniment sa vigueur,
Et de l’algue et des flots bientôt chassent l’odeur.
Girodet, Héro et Léandre, poème, traduit de Musée .
C’est en s’inspirant d’une légende très ancienne, connue de Virgile et d’Ovide, que Musée le Grammairien, poète égyptien de langue grecque du Ve ou du VIe siècle, narra les amours tragiques de Héro et de Léandre dans un poème de trois cent quarante-trois vers. Léandre, jeune Grec, vit dans la ville d’Abydos sur les bords de l’Hellespont. Un jour, lors d’une fête, il rencontre Héro, prêtresse d’Aphrodite à Sestos située de l’autre côté du détroit, et en tombe éperdument amoureux. Grâce à ses paroles qui occupent l’essentiel du poème, il parvient à se faire aimer par la jeune femme. Mais elle est vouée à la chasteté et, à la demande de ses parents, vit recluse dans une tour qui surplombe la mer. Aussi, chaque nuit, Léandre traverse l’Hellespont à la nage, guidé par une flamme allumée par Héro. Par une nuit de tempête, le vent éteint son phare et le jeune homme se noie. Au matin, Héro découvre le corps de son amant rejeté par la mer. Elle se précipite alors du haut de sa tour.
Publié à Venise en 1494, le poème du Grammairien fut traduit en français dès 1541 par Clément Marot, mais il fallut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que l’histoire des amants de l’Hellespont devienne véritablement célèbre. En 1784, parut sa traduction en prose par Gabriel de La Porte du Theil, puis, en 1796, celle de Jean-Baptiste Gail, plus élégante et plus fidèle. En 1805, Charles-Louis Mollevaut publia une version en vers, mais qui n’avait ni la grâce de Marot ni celle de Girodet, éditée par Pierre-Alexandre Coupin en 1829 avec les autres œuvres littéraires et poétiques de l’artiste .
Poète accompli, le peintre avait déjà traduit les odes d’Anacréon et Virgile qu’il accompagna d’une « multitude de compositions que son crayon improvisoit », car, comme le disait le secrétaire perpétuel de l’Académie, Antoine-Chrysostome Quatremère de Quincy, dans son éloge posthume de Girodet, celui-ci « ne faisoit pas une lecture qui ne devînt pour lui le programme de quelque sujet nouveau » et « ne quittoit pas un poème qu’il ne l’eût traduit en dessin » .
Héro et Léandre occupa Girodet à la fin de sa carrière et lui inspira toute une série de dessins sur papier bleu ou blanc. Chargé de l’inventaire de l’artiste en vue de la vente d’atelier d’avril 1825, Alexis-Nicolas Pérignon, élève de Girodet, regroupa ces feuilles sous le même lot 330. Identifiables notamment grâce au paraphe de Pérignon au verso, accompagné de ceux de Benoist Antoine Bonnefons, commissaire-priseur, et de Lavialle et Antoine-César Becquerel, exécuteur testamentaire du peintre , les dessins furent ensuite dispersés entre diverses collections particulières.
Sur les vingt études de Héro et Léandre que Coupin situa entre 1810 et 1814, huit au moins sont connus . Six furent acquis par le Louvre en 1877 de M. Vionnois (inv. RF 410-415 : Héro sacrifiant à Vénus, Léandre sur le bord de l’Hellespont, Héro et Léandre montant dans la tour, Héro remontant dans la tour au matin, Léandre mourant traversant l’Hellespont et Héro se précipitant dans les flots. Deux autres étaient récemment venus sur le marché de l’art : Léandre dénouant la ceinture de Héro et Héro découvre le corps naufragé de Léandre. Notre feuille constitue ainsi la neuvième connue du cycle et la quatrième dans l’ordre de la narration.
Plus ou moins aboutis, les dessins devaient vraisemblablement préparer les lithographies destinées à illustrer la traduction de Musée par l’artiste. Toutefois, seule notre composition fut gravée en 1820 par Joseph Dassy, élève de Girodet. Celui-ci y apporta de nombreuses modifications, ne gardant que la pose des deux protagonistes. Tout porte cependant à croire que la datation proposée par Coupin est exacte et que notre étude soit antérieure à 1814, année où Pierre-Claude Delorme, lui aussi disciple de Girodet, présenta au Salon (hors livret) une grande huile sur toile sur le même sujet.
Après la mort de son maître, Dassy lithographia Léandre dénouant la ceinture de Héro, non pas d’après l’étude, mais à partir d’une esquisse à l’huile très finie qui se trouvait alors dans la collection de Becquerel .
La série met en scène les deux amants, accompagnés par Amour ou Cupidon, complice ému, ainsi que par Vénus, tantôt en déesse intraitable, tantôt, comme dans notre feuille, sous les traits d’une servante de Héro. En cela, Girodet suit le texte antique qui fait souvent appel aux deux divinités, même si aucun ne prend part active à l’histoire. Toutefois, probablement pour éviter toute confusion, l’artiste supprima Vénus dans deux compositions finales connues grâce aux lithographies de Dassy en la remplaçant par la statue de la déesse de l’amour.
Rapides et vifs, les dessins de Girodet pour Héro et Léandre sont des premières pensées inspirées par la lecture attentive du texte antique. Ils ont le laconisme des illustrations de l’artiste pour Phèdre et Andromaque exposées au Salon de 1804, mais n’ont pas la pureté dépouillée des dessins plus tardifs pour l’Énéide de Virgile. Ici, Girodet représente le passage cité au début de notre notice lorsque Héro accueille son amant dans sa chambre et verse sur sa tête des parfums précieux . Le trait est souple et précis, traduisant les recherches de l’artiste pour une meilleure ligne des corps et des plis de la tunique transparente de la jeune femme. Les rehauts de blanc viennent souligner la musculature de Léandre qui rappelle le Torse du Belvédère, et se répandent en reflets de froide lumière de lune sur les drapés, les chevelures et les ailes de l’Amour, curieux du geste de Héro et invisible des amants.
A.Z.
Nous remercions Madame Sidonie Lemeux-Fraitot d’avoir très gentiment confirmé l’authenticité de notre dessin qui sera inclus dans le catalogue raisonné de l’œuvre de l’artiste en préparation.
Bibliographie de l’œuvre
Œuvres posthumes de Girodet-Trioson peintre d’histoire, éd. P. A. Coupin, Paris, Renouard, 1829, t. I, p. LXXX (« 1810 […] Héro et Léandre. Suite de vingt compositions, de petite dimension, les unes esquissées aux crayons noir et blanc sur papier bleu, les autres seulement au trait. Trois sont terminées à l’estompe et au crayon noir, sur papier blanc. Héro versant des parfums sur la tête de Léandre, au moment où celui-ci vient d’entrer dans la tour. Lithographié par M. Dassy, sous la direction de Girodet »).
Bibliographie générale
Sylvain BELLENGER (dir.), Girodet. 1767-1824, cat. exp. Paris, Chicago, New York, Montréal, 2005-2007, Paris, Gallimard, Musée du Louvre éditions, 2005.