Lavis gris et brun sur papier
Eugenio Lucas Velasquez fut élève à l’Académie San Fernando de Madrid, où il exposa en 1841 deux caprices et deux scènes de genre. Il décora le plafond du Théâtre Royal de Madrid, en collaboration avec l’artiste français François H. Filastre, puis seul, le palais du Marquis de Salamanca.
En 1855, l’artiste se rendit à Paris à l’occasion de l’Exposition internationale. Ses toiles furent d’ailleurs chaleureusement accueillies par Gauthier et About. Cette même année, il fut chargé d’estimer les « peintures noires » de Goya à la Quinta del Sordo.
Il visita l’Italie en 1856, puis le Maroc en 1859, qui influença fortement ses paysages et lui donna le goût des scènes orientalistes. Il épousa la sœur d’un peintre romantique madrilène, Jenaro Perez Villamil. Il fut, en 1851, nommé « Peintre de la Chambre du Roi » et chevalier de l’ordre de Charles III.
D’où lui vient son nom étrange ? La réponse est assez visible dans son œuvre : Eugenio Lucas Velasquez avait beaucoup de respect et une admiration revendiquée pour l’art de ses compatriotes et prédécesseurs, Diego Velasquez, Murillo et Francisco Goya. S’il doit son surnom au premier, c’est le dernier de ces grands maîtres espagnols qui joua le rôle le plus important dans l’œuvre de Lucas. Il était en effet l’un des plus talentueux suiveurs (avec Leonardo Alenza) de Goya, dont il possède parfaitement la touche rapide et les effets de matière. Par ailleurs, les deux peintres partagent la même prédilection pour les scènes proprement populaires (fêtes de villages, scènes militaires, tauromachie) et les sujets plus « expressionnistes » incluant les aspects les plus sombres de l’histoire ibérique (l’Inquisition, le banditisme, les conflits politiques), et même les compositions « fantastiques » (sabbats).
Tous deux ont partagé un sens aigu du tragique contemporain, comme en témoigne la Révolution (1862) de Lucas conservée au Prado.
Plusieurs œuvres de Lucas ont d’ailleurs été malencontreusement attribuées à Goya.
Sa production, toujours irréprochable d’un point de vue académique, et pleine de verve ne fait pas simplement de lui un suiveur de Goya. Lucas Velasquez peut être présenté comme un peintre de la meilleure tradition espagnole, celle de la gravité et de la force contenue. Son Chasseur (1862) conservé au Prado n’est pas indigne de Manet, qui le connut à Madrid en 1865.
Notre lavis présente donc ici une forte influence « goyesque », à la fois dans la richesse de la matière et dans l’éclairage tourmenté de la composition.
Au centre de notre feuillet au cadrage serré, se tient un homme, posté de trois-quarts, le visage tourné vers l’âtre qui illumine le coin droit de la scène. À gauche, deux têtes blondes, fondues dans l’ombre, viennent presque troubler la quiétude de cet instant méditatif, ce moment d’introspection de l’homme face au feu, captivé sans doute par la danse des flammes.
Par ailleurs, les effets de matière et de lumière assez théâtraux évoquent aussi le travail d’un Rembrandt, qui se pose comme le maître ultime des contrastes lumineux, des formes enveloppées dans l’ombre, et des évocations vagues et mystérieuses.
Notre « homme près du feu » tient donc d’un héritage à la fois hollandais et espagnol, et rend compte d’une quête prononcée de la « vérité » cachée, quitte à s’éloigner des conventions artistiques.