29,5 x 24,5 cm
Circa 1915
Mine de plomb, aquarelle et lavis beige sur papier
Signé Rassenfosse sous le drapé
Provenance
• France, collection particulière
Un Commencement difficile
Les débuts de la carrière artistique d’Armand Rassenfosse furent longs et sinueux. Originaire de Liège, Rassenfosse grandit dans une famille de commerçants. Fils unique, il était destiné à reprendre l’activité familiale de vente d’objets d’art et de décoration. Curieux de tout, le jeune Armand s’enthousiasmait cependant plus pour les arts plastiques que pour le négoce. Il dessinait, s’essayait à la gravure, et collaborait à l’insu de sa famille à un journal satirique liégeois, auquel il fournissait chaque semaine un dessin sous un pseudonyme, de 1882 à 1886. C’est donc en autodidacte qu’il apprit le métier, même s’il bénéficia ponctuellement des conseils du peintre Adrien De Witte.
« Je suis un amateur fou de dessin et je suis comme un enragé pour arriver à le faire le mieux possible. Je passe toutes mes soirées à dessiner, je t’assure que bien souvent il me faut du courage après le travail de la journée. […] Je travaille pour apprendre à connaître le corps humain car c’est ce que je trouve de plus beau, de plus séduisant, de plus intéressant à reproduire. J’ai relu dernièrement les mémoires de Benvenuto Cellini et je comprends ses extases en présence d’un mouvement du modèle et du changement d’un muscle, »
écrit-il à son ami Auguste Donnay, en juin 1887.
Rassenfosse et Rops
Un an plus tard, alors qu’il voyageait à Paris pour le commerce familial, Rassenfosse rencontra Félicien Rops. Malgré leur différence d’âge, une amitié immédiate naquit entre les deux Wallons, forte de leur origine commune, mais aussi de leur passion partagée pour la gravure et ses expérimentations techniques. Une correspondance régulière s’établit entre les deux hommes, qui partageaient leurs recherches, et créèrent après plusieurs années d’essais un nouveau vernis mou, baptisé « Ropsenfosse ». Rops, refusant le statut de « maître », contribua par ses conseils exigeants et bienveillants à affirmer l’art du jeune Liégeois. Épris de Paris, Rassenfosse s’y rendait très régulièrement, introduit par Rops dans son cercle artistique, et visitant à ses côtés les expositions et Salons.
L’Indépendance
En 1890, Rassenfosse quitta non sans heurts les affaires familiales pour se consacrer à son art. Afin d’assurer la subsistance de son épouse et de ses trois enfants, il prit un emploi de conseiller artistique dans l’imprimerie liégeoise Bénard, ce qui lui ménageait du temps pour la création. La carrière de Rassenfosse se partagea désormais entre l’élaboration d’affiches publicitaires, l’illustration – l’artiste collabora avec le Courrier français ou le Mercure de France, et ses recherches personnelles. Parmi ses plus prestigieuses commandes, on compte l’illustration des Fleurs du mal de Baudelaire, pour la fameuse édition de 1899 dite « des Cent Bibliophiles ». L’artiste exposa à plusieurs reprises à la Libre Esthétique entre 1896 à 1914. On trouvait également ses œuvres à Paris, chez Georges Petit en 1908, ou chez Durand-Ruel en 1913.
Dessiner le nu
Armand Rassenfosse fut avant tout un dessinateur, et ne se mit que tardivement à la peinture à l’huile. Le peintre Delchevalerie témoigna peu après sa mort, des
« myriades des études quotidiennes qui gonflent les cartons que l’artiste a laissés et qui attestent sa subtile virtuosité linéaire, l’élégante eurythmie expressive à laquelle aboutissaient tant d’expériences poursuivies avec autant de clairvoyance que de ténacité. Il avait conquis dans le domaine du dessin la plus souple maîtrise » (L’art Belge, 1e janvier 1935).
C’est le corps de la femme qui concentra les recherches de l’artiste, dans une touche personnelle qui se tenait autant à l’écart du symbolisme ou de la peinture mondaine que de l’engagement social. Passionné par le nu, Rassenfosse est un peintre de la réalité, d’un quotidien finement observé et délicatement traduit.
Notre dessin et l’exotisme
Par son sujet comme son traitement, notre œuvre se rattache probablement aux années 1910, lorsque le travail de l’artiste se teinta d’accents orientalistes. Tout portait alors les peintres à puiser leur inspiration en Orient. En 1899, les Contes des Mille et Une Nuits étaient pour la première fois intégralement traduits en français ; Rassenfosse en acquit la collection complète. En 1910, les Ballet Russes vinrent à Paris avec Schéhérazade et les décors de Léon Bakst. Les premières œuvres teintées d’exotisme pointent alors chez le peintre, tel Le peignoir jaune (1912) ou La Favorite (1915).
Notre dessin : style et technique
Rassenfosse a dessiné ici d’un trait épuré une jeune créole, à demi assise sur une étoffe qui tient lieu d’unique décor. Avec une grande économie de moyens, l’artiste a éliminé tout élément superflu. Le dessin, à la pierre noire, est enrichi par endroit d’une aquarelle à la palette délibérément restreinte.
Le corps est réduit à ses traits essentiels, sûrs et précis. Un discret travail d’estompe génère le volume. La femme porte la tête haute, l’expression est fière et sans fausse pudeur. Pour toute parure, le modèle arbore un bonnet brodé d’entrelacs aquarellé en vert et bleu, orné de trois perles rouges et de rubans qui s’envolent en volutes autour de son visage. Rassenfosse aime parer ses femmes nues de coiffes, comme dans Poyette (musée d’Orsay) ou encore Le Bonnet hongrois (Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts). La nudité virginale du jeune modèle est relevée par un fin bracelet de perles rouges à chaque poignet, et aux pieds par une délicate paire de babouches. Dernier élément coloré, un bleu léger orne l’étoffe d’une végétation stylisée qui n’est pas sans rappeler Bonnard ou Matisse.
Signe de l’importance qu’il accorda à son dessin, ou peut-être du sentiment de réussite qui l’accompagna, Rassenfosse l’a signé, ce qui n’était pas dans son habitude. Rares sont en effet les œuvres signées de sa main, ce qui s’explique autant par son sens artisanal de l’art que par sa conscience aigue du travail – et rarement satisfaite.
L’un des dessins les plus proches de notre œuvre est certainement l’Étude de femme nue et assise du Palais des Beaux-arts de Lille (inv. W.2987). Les deux feuilles, d’une structure également dépouillée, évoquent à la fois le classicisme des baigneuses d’Ingres et la limpidité des estampes japonaises. Elles reflètent le talent d’un artiste cultivé, qui sut par sa curiosité, son assiduité au travail et son dynamisme intérieur atteindre un art personnel d’une rare sensibilité.
M.B.
Bibliographie générale (œuvre inédite)
Joost DE GEEST (dir.), Armand Rassenfosse, cat. exp., Bruxelles, Palais des Académies, 2005.
Nadine de RASSENFOSSE-GILISSEN, Rassnfosse. Peintre – graveur – dessinateur –affichiste, Liège, éd. du Perron, 1989.
E. ROUIR, Armand Rassenfosse. Catalogue de l’œuvre gravé, Bruxelles, C. Van Loock, 1984.