Giovanni Francesco BARBIERI dit LE GUERCHIN (Cento, 1590 - Bologne, 1666)

Jeune homme regardant vers la gauche

48,2 x 35,2 cm

Circa 1625-1630.
Pierre noire, pierre grasse (pierre noire additionnée de gomme arabique) sur quatre feuilles de papier assemblées.

Provenance
• Giuseppe Villardi (1784-1863), Milan (Lugt 1223a en bas à gauche).
• Collection indéterminée, « N. 93 » inscrit en haut au verso.
• Collection indéterminée, Allemagne du Sud, d’après la mention sur l’ancien montage.
• Allemagne, collection particulière (attribué à Pietro Faccini).

Célèbre pour ses dessins à la plume d’une maestria jamais égalée, Giovanni Francesco Barbieri dit le Guerchin, l’un des plus illustres peintres de l’école bolognaise du XVIIe siècle, maniait également à la perfection la sanguine et la pierre noire qu’il réservait volontiers aux études de nus. Autrefois attribuée à Pietro Faccini (1562-1602), élève très talentueux d’Annibale Carracci, notre feuille se place très naturellement dans le corpus du Guerchin de par l’évocation atténuée de la lumière, l’assurance des lignes ou le modelé concis et parfois schématique des volumes, tout particulièrement dans la chevelure. En comparaison, le style de Faccini apparaît comme plus souple, voire excentrique dans ses académies tardives.

De grand format, notre dessin est réalisé sur un papier épais et grenu comparable à ceux utilisés pour les cartons de fresques. Toutefois, les contours ne sont pas ici suffisamment appuyés, devenant même évanescents au niveau de l’épaule gauche du garçon, ce qui interdit tout transfert. En outre, le rendu des carnations et du clair-obscur s’avère trop précis pour qu’il s’agisse d’un simple carton. En revanche, la description minutieuse des muscles et des courbes de l’oreille, la disposition des masses soulignée par la lumière savamment placée font penser à un exercice virtuose d’un maître de dessin visant à démontrer que l’anatomie humaine est mieux rendue par les jeux de reflets que par les contours purs. Tout porte donc à croire que la raison d’être de notre feuille fut la formation des apprentis du Guerchin et qu’elle devait servir d’exemple de travail sur le nu masculin. On conserve plusieurs dessins similaires, généralement de grandes dimensions et réalisés également à la pierre grasse et non, comme on le croyait jusqu’à récemment, au fusain huilé. À la couleur noire plus soutenue et à la texture plus riche, ce médium accroche mieux le papier et le regard et se révèle plus propice aux démonstrations, tout en restant difficile à corriger, ce qui rend son maniement d’autant plus spectaculaire. Pietro Faccini utilisait la même technique pour ses études d’après nature et pour certaines de ses esquisses préparatoires : d’après Malvasia, le Guerchin admirait beaucoup les feuilles de Faccini.

Le Guerchin enseigna le dessin d’après le modèle vivant essentiellement dans les vingt premières années de sa carrière. Son Accademia del Nudo fut fondée à Cento en 1616, après que Bartolomeo Fabri, l’un des premiers protecteurs de l’artiste, eut mis à sa disposition deux pièces de sa maison. L’entreprise du Guerchin fut un succès retentissant et lui attira plus d’une vingtaine d’élèves. Le peintre continua à donner des cours de dessin jusqu’à son départ pour Rome en 1621, puis après son retour à Cento deux ans plus tard et jusqu’au milieu des années 1620 au moins. Passée cette date, il n’utilisa qu’exceptionnellement la technique de la pierre grasse.
Le style de notre dessin, comme celui de certaines autres feuilles similaires, correspond en effet plutôt à l’époque qui avait suivi le séjour romain du Guerchin lorsqu’il était occupé à la décoration à fresque de la coupole et du tambour de la cathédrale de Plaisance.

Ainsi, dans notre œuvre, la pose du modèle qui se penche vers l’avant en tournant la tête de profil à droite, pourrait en effet s’inspirer, en contrepartie, de celle d’un jeune homme amenant un bélier vers l’autel dans la Sainte Cécile devant le juge du Dominiquin, réalisée entre 1612 et 1615 et exposée dans la chapelle Polet à Saint-Louis-des-Français à Rome. Par ailleurs et comme souvent dans les études que le Guerchin destinait à ses élèves, les parallèles ne manquent pas avec les œuvres peintes du maître lui-même. On pense notamment au jeune berger aux épaules dénudées et bouche entrouverte qui s’incline devant la Vierge à l’Enfant dans L’Adoration des Bergers réalisée vers 1615-1616 (Rome, Palazzo Corsini, Galleria Nazionale d’Arte Antica). Mais on doit également évoquer le jeune homme tiré de son sommeil par l’Ange dans L’Annonce aux Bergers, fresque de la cathédrale de Plaisance terminée par le Guerchin en 1627, ainsi que le jeune berger de L’Adoration des Bergers, dessin à la plume datable de cette même année (Windsor, inv. RCIN 902473).

Étape d’une longue réflexion artistique d’un grand peintre sur la figure fléchie d’un jeune homme, modèle de perfection offert à l’imitation aux élèves de son Accademia del Nudo, dessin monochrome au cadrage coupé, notre feuille s’avère d’une force surprenante, rare dans les académies dont la raideur s’explique par la nécessité de tenir la pose durant un certain temps. Ce corps musclé et ployé, tendu comme un ressort, appelle à une action. Le bras droit contracté semble se saisir de quelque chose de lourd ou de résistant, le regard fixe avec insistance un objectif hors du cadre, tandis que les lèvres entrouvertes paraissent prêtes à formuler une parole. Posée en hachures serrées ou étalée en aplats, jouant habilement avec le beige du papier laissé en réserve, la pierre grasse traduit l’énergie de l’instant et la vigueur de la jeunesse qui avait tant fasciné et inspiré le Guerchin au début de sa carrière.

Nous remercions M. Nicholas Turner d’avoir confirmé l’attribution de notre dessin après examen et de son aide précieuse dans la rédaction de cette notice.

Bibliographie
Denis MAHON et Nicholas TURNER, The Drawings of Guercino in the Collection of Her Majesty the Queen at Windsor Castle, Cambridge, 1989.
Denis MAHON, Giovanni Francesco Barbieri, Il Guercino (1591-1666). Disegni, Bologne, 1992.
Luigi SALERNO, I dipinti del Guercino, Rome, 1988.

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