36,5 x 54,5 cm
Sanguine sur traits de pierre noire
Provenance :
• France, collection particulière.
Bibliographie : • Brejon De Lavergnée, Barbara, « Les Corneille entre le père (vers 1603-1664) et le fils (1642-1708) », in Nouvelles de l’estampe, 2011, (235), pp. 6-13
Élève de son père Michel Corneille l’Ancien, Michel Corneille le Jeune (ou L’Aîné) est formé à l’exercice de la peinture dès son plus jeune âge, tout comme son frère cadet Jean-Baptiste Corneille (1649-1695) quelques années plus tard. Reconnu très tôt pour ses dons artistiques, il reçoit les enseignements des peintres les plus fameux du royaume dont Charles Le Brun (1619-1690) peintre du roi, et de son principal rival, Pierre Mignard (1612-1695).
Lauréat d’un prix créé par l’Académie, Corneille gagne l’Italie en 1659 où il copie assidument l’oeuvre des maîtres anciens. Son enseignement se poursuit à Bologne lorsqu’il rejoint l’Accademia degli Incamminati fondée par les Carrache. Le refus de l’artifice maniériste et le retour aux formes antiques comme références suprêmes de l’art inspirent le jeune artiste qui prône lui aussi désormais l’importance du dessin comme moyen de synthèse entre le réel observé et l’idéal recherché. À son retour à Paris en 1663, il est âgé de 21 ans et reçu avec les honneurs à l’Académie, où il sera par ailleurs nommé professeur en 1690. Salué par ses contemporains, il est appelé par le roi pour travailler à Meudon, Fontainebleau et Versailles tout en profitant de la protection de Louvois et de ses nombreuses commandes dont quelques modèles de tapisserie pour la manufacture des Gobelins.
L’expérience italienne permet à l’artiste de développer un langage plus personnel. Formidable dessinateur, Michel Corneille le Jeune laisse derrière lui une production graphique d’une haute qualité d’exécution. De son goût pour l’antiquité, il réalise un grand nombre d’études tirées de la mythologie grecque mais aussi de scènes religieuses dont notre sanguine est un merveilleux exemple. Elle représente l’Entrée du Christ à Jérusalem (Luc, 19, 28-44), sujet auquel l’artiste avait déjà commencé à s’intéresser lors de son séjour italien sous l’influence des Carrache, comme en témoigne une étude au lavis et à l’encre brune conservée au musée du Louvre à Paris (département des Arts Graphiques, inv. 25425 recto).
Les dimensions généreuses de notre feuille annoncent un format peint ambitieux, hérité de l’observation de son père ainsi que de son maître à travers le choix du sujet, traité quelques années plus tôt par Le Brun Dans un format horizontal, Corneille place le Christ entouré de femmes et d’un enfant à gauche et à droite une figure masculine représentée debout, le buste tourné de trois-quarts comme interpellé, le regard fixé vers le Christ. En plaçant ainsi les figures, notre composition est en tout point comparable à celle de Le Brun. L’oeuvre se lit en deux temps : femmes et enfants se précipitent vers le messie tandis que les hommes, déposant progressivement leurs manteaux et étoffes au sol attendent son arrivée. Pour son oeuvre finale, Le Brun avait multiplié les esquisses dessinées préparatoires dont Corneille a pu s’inspirer telle que l’étude d’un âne suivi d’un ânon (Paris, musée du Louvre, département des arts graphiques, inv. 27710, recto).
Certains détails stylistiques ont presque valeur de signature dans l’oeuvre de Michel Corneille le Jeune. Parmi ses nombreuses études, le traitement de la chevelure et de la barbe faite d’épaisses boucles, semble tiré de l’observation de l’oeuvre paternelle, tout comme le drapé enveloppant la taille du Christ formant des plis lourds et presque sculpturaux, caractéristiques de la période tardive du père. Chez Corneille le Jeune, le dessin rigoureux est riche d’une étude poussée sur le rendu des chairs, tracées à la sanguine, bien que l’anatomie du canon antique ne soit pas systématiquement respectée. Les musculatures sont rendues puissantes par un jeu de hachures utilisé dans la plupart de ses études de corps masculins tel que l’étude d’un Guerrier antique assis, profil à gauche conservée à l’École des Beaux-Arts de Paris. Corneille semble accorder une importance particulière au regard de ses personnages dont les yeux sont bien souvent exorbités et soulignés par une lourde paupière. Ici encore, une comparaison s’impose avec l’oeuvre de Michel Corneille l’Ancien dans le traitement du profil de l’homme à droite de notre composition et celui représenté dans La Visitation, à gauche de la composition.
Enfin, d’après ses études des grands maîtres italiens du XVIe siècle, Corneille rend avec une grande acuité les chevelures féminines, ici tressées et nouées telles qu’il avait pu les observer chez Raphaël, tantôt par hachures, tantôt en rondeur par ondulations.
Travailleur infatigable, Michel Corneille le Jeune meurt en 1708 dans son environnement de travail, à la manufacture des Gobelins, ce qui lui valut le surnom de Corneille des Gobelins. Longtemps resté dans l’orbite de son maître, l’artiste aura souffert de la célébrité de Charles Le Brun et la paternité de leurs oeuvres fut souvent confondue, réduisant ainsi considérablement le corpus de l’oeuvre de l’artiste. Nous proposons de rendre ce dessin à cet artiste admirable éclipsé pendant longtemps entre la production paternelle et les influences de ses maîtres.
M.O.