27,5 x 20,1 cm
Gouache sur parchemin. Le portrait du roi est peint sur une feuille distincte, découpée et collée en plein. Signé à gauche sur la base de la colonne : De Sompsois Invt / & Pinxit Anno / 1774. Beau cadre en bronze doré surmonté d’un nœud d’époque Louis XVI.
Au verso, longue note (orthographe et ponctuation conservées) :
Sujet du tableau :
Le Portrait principal est Louis Quinze Roi de France, Minerve représentée par Mde La Comtesse Du Barry qui tient des Couronnes de Lauriers pour être distribués aux Genies de tous les Genres de Peinture qui sont au bas du tableau ainsi que la Sculpture. L’auteur P. [sic] de Sompsois le présenta au Roi et à Mde Du barri [sic] en 1774. depuis Ce tems on ignora ce qu’il étoit devenu. Ce ne fut qu’en 1806 plus de 30 ans après et depuis la mort de l’auteur que sa fille unique qui étoit retirée dans un dept et que des affaires appellèrent à paris retrouva le tableau chez un md de Tableau elle apprit qu’à la mort de Mde Du barry il avait été acheté par une personne attaché à la famille d’Orléans. Elle l’acheta et la possède depuis.
P. Sompsois fecit ci 1774 (1775 barré)
[rajouté plus tard par la même main]
+on a sçut depuis que ce tableau avoit été caché à Lucienne dans une embrasure de croisée derière la boiserie. Lorsque Mde Du barry fut emfermée à la Conciergerie dont elle n’est sortie que pour monter à l’echafaud.
Provenance
• Probablement collection Jeanne Bécu de Cantigny, comtesse Du Barry (1743-1793), Louveciennes (d’après l’annotation au verso).
• Probablement N de Sompsois, fille de l’artiste (d’après l’annotation au verso).
• France, collection particulière.
Faite autant de négociations officielles que d’intrigues, de complots, de faux-semblants et d’impostures, la diplomatie européenne du milieu du XVIIIe siècle alimente bon nombre de légendes, à commencer par la plus célèbre, celle du chevalier d’Éon. Celui-ci dut intervenir dans les relations entre la France et la Russie, en froid et sans ambassadeurs réciproques durant dix ans, entre le départ en 1748 du comte d’Alion et l’arrivée en 1757 du marquis de L’Hôpital, préparée dans le plus grand secret par le chevalier et Mackensie-Douglas. L’ambassade très solennelle de L’Hôpital comptait Louis-Alexandre Frotier de La Messelière (1710-1777) qui, dans ses mémoires publiés en 1803, attribue l’amélioration des rapports entre les deux États à « un certain Sompsoy, fils du Suisse de M. le duc de Gesvres qui, ayant le talent de peindre en miniature, se présenta pour faire le portrait de l’impératrice » . D’après La Messelière, l’artiste exposa tellement bien la « grande vénération » que les Français avaient pour Élisabeth, que la tsarine finit par lui avouer son souhait de voir plus de Français à sa cour. « Sompsoy s’offrit de faire savoir ses intentions au roi par le moyen de M. le duc de Gesvres. Il fut approuvé, partit, sous prétexte de venir chercher sa femme à Paris, et s’acquitta très bien de sa commission. » D’Éon et Douglas arrivaient donc sur un terrain préparé par un miniaturiste.
Ce court passage suffit à faire de Sompsois un agent diplomatique. Mais ces informations sont à prendre avec une extrême prudence. Rien n’atteste en effet que Jean ou Jean-François de Sompsois soit issu de l’entourage du duc de Gesvres. En effet, il déclara en 1778 être noble et Français, et était vraisemblablement apparenté à la famille champenoise de Sompsois de petite noblesse. En tout cas, alors que les documents et les mémoires le nomment Sompsoy, Sampsoi, Sampçoi, Samsois ou Sumpsois, lui-même ne signa jamais autrement que « De Sompsois ».
De même, l’activité diplomatique du peintre ne se confirme par aucune dépêche officielle ni missive privée, bien qu’une tentative de questionner l’héritier du trône, futur Pierre III, soit bien relatée dans une lettre du 17 septembre 1756 envoyée par Catherine la Grande à Charles Hanbury Williams . De Sompsois vint présenter les pastels au couple, et en profita pour demander à Pierre s’il avait peur que les Français s’immiscent dans les questions de la succession. L’entrevue tourna court : tandis que l’héritier répondait sèchement à l’artiste de ne se mêler que de ses affaires, la future impératrice le menaça d’emprisonnement.
Les renseignements les plus exacts que nous ayons sur de Sompsois se trouvent dans les textes de Jacob von Stählin (1709-1785), professeur de l’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg, premier directeur de l’Académie des Beaux-Arts, poète, médailleur et graveur. S’il ne dit mot sur la formation et l’arrivée de l’artiste en Russie, il le décrit comme miniaturiste et pastelliste remarquable, auteur de nombreux portraits des membres de la cour et surtout de l’impératrice, notamment sur les tabatières que celle-ci aimait offrir. La miniature de l’ambassadeur autrichien Miklós Esterházy fut, de l’avis de Stählin, « particulièrement réussie ». Pour l’anniversaire d’Élisabeth en 1753, le comte Alexei Razoumovski avait commandé à de Sompsois un éventail avec des vues de Tsarskoe Selo animées « de centaines de figures » . Von Stählin estimait beaucoup le talent du Français, quoique trouvant son dessin un peu faible. Il raconte qu’un jour, de Sompsois, étant chez le baron de Breteuil (ambassadeur de France en Russie entre 1760 et 1763), vit le peintre Louis-Jean-François Lagrenée y dessiner les portraits au crayon des invités. « Encore un à rajouter ici », dit le miniaturiste, en traçant l’image de Lagrenée lui-même qu’il épingla au mur aux côtés des autres feuilles .
Le peintre fit deux séjours à Saint-Pétersbourg. Le premier, vers 1753-1755, et le second entre 1755-1756 et 1763-1764. Sa carrière russe est confirmée par plusieurs œuvres signées de sa main, dont onze portraits au pastel des dames d’honneur de Catherine figurées en éléments, continents ou saisons (Oranienbaum, Palais Chinois, et qui sont ceux mentionnés dans la lettre de la grande-duchesse. Plusieurs portraits sont datables des années 1763-1764 : celui au pastel du futur empereur Paul Ier (Saint-Pétersbourg, musée Russe, 45 x 38 cm), celui à l’huile de la comtesse de Solms-Sonnenwalde, épouse de l’ambassadeur de Prusse arrivé en 1762, ou celui à la miniature d’une dame inconnue .
Cette dernière est la plus grande des miniatures subsistantes de Sompsois, bien qu’elle se résume toujours à une représentation en buste. C’est d’ailleurs le cas de l’ensemble de ses portraits, quelle que soit la technique employée, à l’exception de son autoportrait avec son épouse, perdu et connu grâce à un court poème de Barnabé Farmian Durosoy publié en 1769 . Le poète imagine à cette occasion une dispute entre le « dieu du Goût » qui souhaite porter l’œuvre dans le temple de Minerve et l’Amour qui le veut pour sa mère, Vénus.
Dans ce corpus particulièrement uniforme, notre œuvre apparaît comme tout à fait exceptionnelle. Elle l’est d’abord par sa taille, qui transforme la miniature en véritable tableau. S’y rajoutent ensuite la grande complexité de la composition, l’exubérance et le détail du décor, ainsi que l’introduction de nombreux personnages allégoriques et des putti : l’on ne peut citer comme autre exemple que le petit Zéphyr du portrait de Narychkina et les bases de colonnes ou draperies qui agrémentent quelques miniatures. Enfin, la date de notre peinture, 1774, soulève la question de l’activité de Sompsois après son retour de Russie.
Car, aussi étrange que cela puisse paraître, il existe, dans sa biographie, une lacune entre 1764 et 1775, lorsque son nom, « de Sompsois, écuyer » apparaît dans la liste des onze associés libres de l’Académie de Saint-Luc. En effet, il n’expose rien aux salons de cette institution, disparue avec la suppression des corporations parisiennes dès 1776. En 1778, de Sompsois fut reçu maître peintre à La Haye en refusant cependant de payer les frais d’entrée en tant que noble français. Dans les documents russes, un paiement de 750 roubles – somme considérable – est enregistré en 1780 en faveur du peintre. Plusieurs pastels datés d’entre 1782 et 1791 attestent de sa présence aux Pays-Bas. Il fut ensuite de nouveau à Paris, se liant au comte de Paroy, ce qui lui permit de faire le pastel de Madame Royale (50 x 36 cm, collection particulière). Citée dans un document de 1797, la miniature du comte de Provence serait la dernière mention connue de Sompsois.
Des œuvres manquent également pour combler cette dizaine d’années de carrière entre 1765 et 1775. Deux miniatures signées seulement, semblent, d’après le costume, dater de cette période : celle annotée au verso « Madame Roussel » (gouache sur parchemin, 4,3 x 3,5 cm, anc. coll. David-Weill, no 784 ; vente Sotheby’s Londres, 10 novembre 1986, lot 78) et celle représentant une dame inconnue. Il faut vraisemblablement y ajouter le profil de l’acteur et dramaturge Pierre Laurent Buirette de Belloy gravé par Augustin de Saint-Aubin pour le frontispice de la première édition du Siège de Calais en 1765. Le riche encadrement du portrait avec génie et cénotaphe, s’il n’est pas sans rappeler notre miniature, est l’œuvre de Saint-Aubin comme l’indique l’annotation sous la gravure « De Sompsois delin effigies / De St Aubin Fecit ».
Il semble néanmoins que de Sompsois demeura tout ce temps à Paris, probablement rue de Tournon dans la maison où son épouse, Marie-Anne Langlois, est décédée en 1760. Notre grande et somptueuse miniature est-elle l’accomplissement d’une activité, le chef-d’œuvre attendu, voire commandé, ou, au contraire, l’espoir d’être enfin remarqué, l’ultime tentative de s’imposer à la cour ? Les éléments nous manquent pour trancher en faveur de l’une ou de l’autre hypothèse. Mais il serait en effet surprenant qu’un artiste comme de Sompsois ne puisse se constituer rapidement une clientèle au retour de Saint-Pétersbourg. L’art de la miniature était à cette époque particulièrement prisé et les commandes abondaient. Les créations de l’artiste sont probablement à rechercher parmi les portraits non signés, à l’instar de huit miniatures récemment passées en vente et qui représentent les souverains russes, suédois et hollandais (Guillaume V d’Orange Nassau et son épouse Wilhelmine de Prusse née en 1751).
Ceci laisserait supposer que de Sompsois resta actif durant toutes ces années sans pour autant entrer à l’Académie. Notre œuvre qui célèbre la Peinture et la Sculpture était-elle destinée à lui permettre de se présenter devant ses confrères ? Le fait que le nom de Sompsois n’apparaît dans aucun compte rendu de séance invalide cette supposition. Vu le temps nécessaire à la réalisation d’une telle peinture, il est plus probable qu’il s’agisse d’une commande privée plutôt que d’une initiative personnelle. Pourquoi pas un cadeau pour Madame Du Barry ou de Madame Du Barry ?
Car c’est bien la favorite qu’il faut reconnaître dans la figure de la Peinture en train de parachever le portrait du roi Louis XV. Celui-ci, reprenant le célèbre tableau de Louis Michel Van Loo, est peint sur un parchemin séparé, avec une précision extraordinaire. Le reste apparaît comme un encadrement de ce portrait, à commencer par le riche cadre doré orné des armes de France dont chaque détail est un modèle de perfection.
Le parchemin du portrait royal est découpé pour recevoir le profil de la Peinture, réplique en couleurs du buste de Madame Du Barry par Pajou. Aux pieds du chevalet, un putto est occupé à graver un profil sur une plaque de cuivre, tandis que l’autre choisit un bâton de pastel pour continuer son dessin. À droite, un putto assis à une table met la dernière touche à une miniature ovale ; devant lui, les coquillages qui lui servent à préparer ses couleurs. Deux autres putti créent des médailles : l’un plonge le métal dans le feu d’un brasero, l’autre tient un poinçon et montre fièrement le résultat à la Sculpture, occupée à tailler dans le marbre le buste du roi. Elle emprunte également ses traits à Madame Du Barry, telle qu’elle apparaît dans le portrait de 1773 par Drouais ou dans la gravure de Louis-Marin Bonnet datée de 1769 et accompagnée d’une devise : « Les Grâces & l’Amour sans cesse l’environnent, Et les Arts, avec eux, tour-à-tour, la couronnent ». Au-dessus de cette agitation créatrice à la gloire du Très Chrétien et de sa muse – comment ne pas songer au portrait allégorique de la favorite en Muse des Arts par Drouais exposé au Salon de 1771 – trône Minerve sur un nuage vaporeux. La déesse tient deux couronnes de laurier destinées à la Peinture et à la Sculpture. Sa pose plus libre et mieux proportionnée que celle des deux allégories laisse croire que de Sompsois se servit d’une figure existante.
L’ensemble est une célébration des beaux-arts, ou, plus exactement la glorification de l’art du portrait, spécialité de l’artiste. Brisant la hiérarchie académique, le portrait devient ainsi le premier des genres car seul capable de représenter le roi dans sa majesté. Mais notre miniature est également une vraie merveille aux couleurs flamboyantes, dont l’harmonie est soutenue par l’omniprésence des blancs et le fond gris de nuages et de colonnes un peu maladroites, typiques de l’artiste. De Sompsois soigne le moindre détail de son chef-d’œuvre : le hibou sur le casque de Minerve, le nœud rose dans les cheveux de la Sculpture, les lacets verts des sandales de la Peinture, les bâtonnets de pastel dans leur boîte ou les bas-reliefs sur la base du piédestal de marbre vert. Il se montre ici un artiste accompli, capable de dépasser les frontières étroites de son genre pour se faire peintre d’histoire, ce que souligne la fière signature De Sompsois Invt et Pinxit Anno 1774. Mais c’est probablement cette date qui priva la miniature et son auteur d’une célébrité largement méritée : le roi mourut le 10 mai 1774 et la favorite perdit toute influence en quittant la cour.
Bibliographie
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