56 x 94 cm
Gouache sur papier marouflé sur toile. Signé et daté 1881 en bas droite .
D’origine munichoise mais naturalisé français, Ferdinand Heilbuth s’installa à Paris où il fréquenta les ateliers de Paul Delaroche puis de Charles Gleyre. Pendant cette formation d’une dizaine d’années, il oscilla entre la peinture de genre et celle d’histoire. Heilbuth acquis à Rome, où il séjourna à partir de 1865 et garda longtemps un atelier, le surnom de « peintre des cardinaux ». Loin des thèmes antiques, il s’attelait avec succès à dépeindre les scènes quotidiennes de la vie au Vatican. Son travail aux motifs spontanés garde une facture finie : toute sa vie, il retravaillera en atelier des compositions commencées en plein-air.
En 1870, ses origines allemandes contraignirent Heilbuth à gagner l’Angleterre où il demeura quatre ans. C’est au bord de la Tamise qu’il prit goût à la peinture des rivages animés d’élégantes jeunes femmes. Il connut à Londres une période de grande prospérité. On retrouvait notamment ses œuvres à la Grosvenor Gallery, au côté de celles de Tissot.
De retour en France, l’œuvre d’Heilbuth se nourrit jusqu’à sa mort de ce qu’il a découvert outre-manche. Liquidant son atelier romain, il ne quittera plus Paris. Poursuivant l’ambition de devenir « le Watteau des bords de Seine », son travail le mena à Bougival, Chatou ou encore Bagatelle. Sans jamais délaisser l’huile ni le pastel, l’artiste s’adonna également à l’aquarelle, et participa activement à la fondation de la Société des Aquarellistes français. Ses maîtres de prédilection sont Troyon, Théodore Rousseau et Corot ; on trouvait également dans sa collection les œuvres de Jongkind, Monet, ou encore Puvis de Chavannes.
L’une des œuvres phares de l’artiste, qui exposa au Salon de 1853 à 1887, a pour titre Beau temps. Présentée hors concours en 1881 (n° 1122), elle figure « deux jeunes parisiennes canotant sur la Seine, par un temps calme d’automne ». Notre œuvre s’inscrit dans le même esprit. La scène se situe sur les rives de Neuilly : on distingue au fond la pointe de l’île de la Jatte. Au premier plan, une jeune femme dirige un canot remplis d’enfants accompagnés d’une gouvernante. Sur la berge à droite, se dessine la lourde silhouette d’un bateau-lavoir ; des barques manœuvrent sous les frondaisons de l’autre rive.
Dans un large format, le sujet est ici sublimé par la technique : Heilbuth exploite la gouache avec brio, pour retranscrire l’atmosphère unique des bords de Seine. Presque poudrée, elle pourrait sembler du pastel. La luminosité de l’eau transparaît, sous la conjugaison de blancs francs et de larges réserves. Le grain du papier modèle avec douceur et grâce les figures enfantines.
Modifiant subtilement la composition, Heilbuth reprend ici un sujet qu’il avait traité à l’huile, peut-être avec moins de légèreté, sous le titre du Passeur à Neuilly. La femme tenant les rames est alors remplacée par un batelier ; la gouvernante est devenue une religieuse, et le châle cachemire à l’avant du canot, un chien. Une version sur bois du Passeur a été exposée lors de la vente d’atelier d’Heilbuth à la Galerie Georges Petit en 1896 (n° 21). Elle fait partie, selon Charles Yriarte, de « ces œuvres intimes que l’artiste garde comme un trésor, où il a pris un peu de l’émotion qui l’agitait en face de la nature, et où on retrouve un reflet de la joie tranquille, qu’elle verse dans les âmes faites pour la sentir et pour l’aimer ».