29 x 21,5 cm
Pierre noire, craie blanche, lavis de pierre noire sur papier préparé gris.
Provenance
France, collection particulière.
Né à Venise d’un père gondolier, Domenico Fedeli apparaît toujours dans les documents sous son surnom de Maggiotto. À l’âge de dix ans, il entra dans l’atelier de Giovanni Battista Piazzetta pour y demeurer jusqu’à la mort du célèbre peintre en 1754, d’abord comme son apprenti, puis proche collaborateur. En 1750, Maggiotto fut reçu dans la guilde des peintres de Venise et l’année d’après devint membre du Collegio dei pittori où il occupa diverses fonctions administratives : prieur, syndic et, enfin, président. Piazzetta l’associait volontiers à la réalisation de ses commandes, sans doute davantage que ses autres élèves et de plus en plus régulièrement vers la fin de sa vie. Après sa disparition en 1754, ce fut Maggiotto qui eut à terminer le retable de l’église San Salvador, qu’il signa « Quod Jo Batta Piazéta pingebat Sun Majotto reverenter ».
Établi désormais à son propre compte, Maggiotto fut semble-t-il tenté dans un premier temps par une carrière en Allemagne, mais finalement ne s’éloigna jamais de Venise. Pour se rapprocher de sa famille, il s’installa dans la paroisse de San Giovanni in Bragora. Il peignit pour l’église paroissiale le retable de la Vierge en gloire (perdu). En 1756, il fit son entrée dans l’Académie de peinture et de sculpture créée six ans auparavant et dirigée alors par Tiepolo. Très impliqué dans la vie de l’Académie surtout après le départ de Tiepolo pour Milan, Maggiotto se chargea, en plus de l’enseignement, de diverses inspections, des restaurations de peintures anciennes et des expertises.
Maggiotto fut profondément marqué par l’esprit de Piazzetta, dont il maîtrisait parfaitement la technique et les méthodes et dont il reprit le répertoire thématique, travaillant parfois sur le même modèle et s’inspirant des compositions de son professeur même après la mort de celui-ci. Ses œuvres étaient régulièrement confondues avec celles de Piazzetta ou celles du fils et élève de Maggiotto, Francesco, jusqu’aux recherches récentes qui permirent enfin d’isoler la figure artistique de Domenico dans l’abondante production vénitienne du XVIIIe siècle. Reconstitué à partir d’une douzaine de peintures signées ou documentées, son corpus autographe compte aujourd’hui une cinquantaine de tableaux, mais également des dessins où la personnalité de Maggiotto se révèle davantage.
On divise généralement la carrière de l’artiste en trois périodes. La première, allant de 1740 environ jusqu’en 1754, se caractérise par l’attachement sans faille au vocabulaire du maître et la réalisation appliquée, non sans une certaine délicatesse cependant, qui apparaît comme propre à Maggiotto. C’est vers 1745 qu’il peignit son premier chef-d’œuvre, Le Jeune homme à la flûte, où l’enseignement de Piazzetta est tempéré par une touche étalée et un clair-obscur plus prononcé. La deuxième période, de 1755 à 1765 environ, fut l’époque de la consécration, de la reconnaissance officielle et de sollicitations nombreuses pour les retables d’églises, les portraits, mais aussi et surtout pour les scènes de genre et les figures de fantaisie. La mort de son maître marqua en effet un tournant profond dans l’art de Maggiotto qui paraît alors, à l’âge de quarante-deux ans, se libérer enfin de l’emprise de Piazzetta, autant artistique que spirituelle. L’artiste voulut s’éloigner des formules de son professeur, séduit par la perfection académique et l’esthétique de Tiepolo, puis par la peinture hollandaise du XVIIe siècle avec Rembrandt, Vermeer, Baburen et Van Honthorst dont il connaissait les œuvres par la gravure. Ce style éclectique s’épura avec l’âge, lorsque, peignant peu car accaparé par ses devoirs d’académicien, il se plaisait à reprendre les thèmes de sa jeunesse.
Notre dessin, bien qu’il perpétue la tradition rendue célèbre par Piazzetta de portraits en buste au cadrage serré et avec une main visible, appartient à cette deuxième période dans la carrière de Maggiotto, la plus féconde et où s’affirme sa manière « chiara e luminosa » selon les mots du peintre Alessandro Longhi (Compendio delle vite de’ pittori veneziani istorici più renomati del presente secolo, Venise, 1762, p. 19).
À la même époque, il fournit au graveur Joseph Wagner les dessins pour une série de quatre feuilles qui présente des similitudes frappantes avec notre œuvre. Certes, la composition et la technique tiennent encore beaucoup de Piazzetta, mais le rendu est très différent. Maggiotto cherche à retranscrire l’air autant que la lumière, la matière autant que les formes, le sentiment autant que l’attitude, caractéristiques communes aux autres dessins de l’artiste. Il se sert beaucoup de l’estompe ou, comme dans notre œuvre, du lavis de pierre noire pour adoucir les courbes et atténuer les passages entre les parties éclairées et celles plongées dans l’ombre. Il s’enthousiasme pour la doublure fourrée de la cape, les boucles des cheveux, la courbure du nez, l’éclat du regard, la sensualité des lèvres entrouvertes. Plus que son maître, Maggiotto semble, dans ses figures de fantaisie, vouloir raconter une histoire, leur donner un sens moralisateur ce dont attestent les titres des estampes de Wagner.
Bibliographie
Maria Agnese CHIARI MORETTO WIEL (dir.), L’eredità di Piazzetta. Volti e figure nell’incisione del Settecento, catalogue d’exposition, Venise, 1996.
Ettore MERKEL, « Domenico Fedeli detto il Maggiotto », dans Giambattista Piazzetta. Il suo tempo, la sua scuola, catalogue d’exposition, Venise, 1983, p. 153-162.
Rodolfo PALLUCCHINI, « Il Piazzetta e la sua scuola », dans Giambattista Piazzetta. Il suo tempo, la sua scuola, catalogue d’exposition, Venise, 1983, p. 13-42.