Paul César HELLEU (Vannes 1859 - Paris 1927)

"Madame Chéruit allongée dans son sofa"

Pierre noire, sanguine et rehauts de craie blanche

« Helleu est avant tout un croqueur des ondulations et des serpentements du corps de la femme », écrivait Edmond de Goncourt. Dandy parisien, à la silhouette longiligne et tout de noir vêtu, Paul-César Helleu incarne en effet l’image d’une époque décrite par Proust, toute en élégance et en raffinement. Il avait commencé sa carrière dans l’atelier de Jean-Léon Gérôme, où ses compatriotes admiraient ses facilités, autant que la sûreté de son jugement esthétique. Le goût d’Helleu le porte vers les impressionnistes, tout autant que vers l’art du XVIIIe siècle dont il décore sa demeure. Il est également féru d’art japonais, auquel il emprunte la stylisation des formes, ou le goût des silhouettes élongées.
Paul Helleu travailla pour gagner sa vie chez le céramiste Deck, où il se lia d’amitié avec Boldini. En 1885, il voyagea à Londres, où il rencontra Whistler. Il y peignit en compagnie de Jacques-Emile Blanche, qui restera l’un de ses proches ; ce-dernier témoigne de l’exigence d’Helleu, qui détruisait systématiquement les toiles qui lui déplaisaient.
Helleu exposa dès le milieu des années 1880 dans les différents Salons sa peinture, ses pastels et ses dessins ; il aborda tous les genres, de la marine aux natures mortes, mais se fit rapidement un nom pour ses portraits, essentiellement féminins. Au crayon, au pastel ou à la pointe-sèche, ils le conduisirent à la fin des années 1890 à cesser définitivement d’exposer sa peinture.

Paul-César Helleu fut très exigeant envers ses modèles, qu’il souhaitait jeunes et belles. Elles correspondirent toujours plus ou moins au sujet favori que fut son épouse Alice, cette « mince jeune femme pâle à la chevelure d’or rouge » selon les mots de Jacques-Emile Blanche. Il aimait voir habiller cette dernière chez les plus grands couturiers, et c’est ainsi qu’il rencontra madame Chéruit. Aux heures de gloire de la haute-couture française, Madame Chéruit fut l’une des rares femmes à tenir sa propre maison. Elle l’installa au 21, place Vendôme, et la dirigea de 1905 à 1925 – son enseigne sera ensuite reprise par Schiaparelli. La couturière collabora à l’élégante « Gazette du bon ton » tenue par Lucien Vogel ; Jacques Doucet, ou Paul Poiret, rejoignirent l’entreprise. Madame Chéruit contribua à lancer la carrière de ce-dernier, ou encore celle de Lucien Lelong.
Madame Chéruit s’avéra la couturière favorite de madame Helleu… et rapidement l’un des modèles préférés de son mari. Il lui envoie ses dessins : « à mon cher model / à mon gentil modèle / à madame Chéruit » ; plus loin c’est tout simplement « à la plus belle ». Fervent admirateur et collectionneur d’Helleu, et son premier biographe, Montesquiou considère les portraits de Madame Chéruit parmi ses plus réussis. L’artiste la représente à maintes reprises, utilisant le pastel, le crayon, et le plus souvent la pointe sèche. C’est parfois un portrait en buste, parfois l’image d’une femme alanguie sur une chaise longue ou un fauteuil, dans une mise toujours impeccable.
« Votre œuvre, c’est (…), une sorte de monographie de la femme, continue Goncourt, dans toutes les attitudes intimes de son chez soi, dans le renversement las de sa tête, sur un fauteuil. » Dans notre dessin, Helleu représente la jeune femme allongée dans un petit sofa Louis XV, le bras gauche replié pour retenir sa tête. La vue est légèrement en contre-plongée. La pierre noire accentue les chantournements du canapé, souligne avec légèreté la longue silhouette du modèle. La sanguine dessine la coiffure et colore les carnations. La manière d’Helleu est délicate : priorité est faite à la ligne pure, seule garante du modelé.
Le dessin fut conservé par madame Chéruit dans sa collection. On l’aperçoit dès 1910, accroché dans son cabinet de travail, dans une photo d’Agié intitulée Déjà coquette, figurant la couturière ajustant la tenue de sa fille.
Ce dessin sera inclus dans le catalogue raisonné de l’artiste actuellement en préparation, sous le n°DE-5954.

Provenance
Succession de Mme Chéruit

Bibliographie
F. DINI, Centro per l’arte Diego Martelli, Boldini, Helleu, Sem : protagonisti e miti della Belle Epoque, Milano : Skira, 2006
A.-M. BERGERET-GOURBIN, M.-L. IMHOFF, Paul Helleu, 1859 – 1927, Honfleur : Musée Eugène Boudin, 1993
R. de MONTESQUIOU-FEZENSAC, Paul Helleu : peintre et graveur, Paris : H. Floury, 1913

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