27,6 x 37,1 cm
Sanguine sur une planche d’illustrations détachée de l’Album Cham. Vendu au profit des orphelins d’Auteuil, texte par Ignotus [Félix Platel] du Figaro et les rédacteurs de la France illustrée, Paris, 1880, in-fol.
Monogrammé au crayon en bas à gauche
Au verso, trois caricatures lithographiées d’Amédée de Noé dit Cham (Paris, 1818-1879) : Une de ses nièces, Cham et sa nièce, Comte de Noé, Père.
Provenance :
- France, collection particulière
À quel degré Maillol a le sentiment de la forme, de la beauté d’une ligne, de la perfection géométrique d’un volume, c’est ce qu’expriment bien ses moindres ébauches, ses plus rapides croquis. Un simple trait lui suffit à définir l’intérêt plastique d’une oeuvre où il s’attardera de longs mois.
Maurice Denis, 1925 (cit. Waldemar, 1964)
Avec Matisse, Picasso ou Léger, Aristide Maillol compte parmi ces peintres sculpteurs qui ont oeuvré à l’avènement de la modernité en sculpture. Né à l’ombre des vignes et des oliviers, dans le village de Banyuls, Maillol fut façonné par la terre de son enfance, à laquelle il demeura fidèlement attaché. Renommé aujourd’hui pour ses oeuvres sculptées, c’est comme peintre que Maillol avait commencé sa carrière artistique. Il arriva à Paris à l’âge de vingt ans pour intégrer l’atelier libre de Gérôme, puis étudier quelques temps aux Arts Décoratifs avant de rejoindre l’atelier de Cabanel à l’École des Beaux-arts.
Se sentant isolé dans la capitale, le jeune artiste n’apprécia guère cette formation académique. Par l’intermédiaire de Daniel de Monfreid, il rejoignit en 1889 l’exposition du « groupe impressionniste et synthétiste » qui se déroulait hors de l’Exposition Universelle, au café Volpini, sous la figure tutélaire de Gauguin. Les principes esthétiques du maître de Pont-Aven lui ouvrirent de nouvelles perspectives. « L’École des Beaux-Arts, au lieu de m’éclairer, m’avait voilé les yeux. Devant les tableaux de Gauguin je sentais que je pourrais travailler dans cet esprit ». C’est Gauguin qui encouragea Maillol à rejoindre le groupe des Nabis, où il fut introduit par Rippl-Ronai. Le jeune peintre puisait son inspiration avec éclectisme : il s’imprégna d’art grec, égyptien ou indien, s’enthousiasma en précurseur pour l’art africain, tout en manifestant son goût pour le baroque ou les maîtres vénitiens. Au contact des Nabis, il explora le décor mural, et s’anima pour la tapisserie. Alors que cet art était tombé en désuétude, il monta un atelier de tapisserie à Banyuls, sélectionnant lui-même ses laines et cueillant ses pigments pour la teinture. C’est la présentation de Méditerranée, au Salon d’automne de 1905, qui consacra Maillol comme sculpteur. Fort de son succès de plasticien, l’artiste poursuivit désormais dans cette voie, sans jamais abandonner la peinture.
Tout au long de sa carrière, le dessin demeura le principe originel du travail d’Aristide Maillol, l’assise quotidienne de son art. Au fusain, à la sanguine ou au crayon Conté, il dessinait chaque jour, d’après nature, remplissant des carnets de silhouettes de femmes aux corps architecturés. Le dessinateur-sculpteur cherche à rendre les volumes, simplifie la ligne qui gagne en puissance, traduit les fonctions d’un corps plus vivant qu’exact, et crée ainsi un nouveau canon esthétique. Ses dessins s’accumulent, et ressortent parfois des années après pour servir de modèle à une nouvelle sculpture.
Maillol représente ici une femme nue allongée. L’artiste aime sentir la flexibilité des corps et placer ses modèles dans des postures elliptiques complexes. Dans notre dessin, la jeune femme plie une jambe, l’autre glissée par-dessous. Le torse est courbé, un bras replié sur l’épaule, la tête inclinée en contre point. Tout en courbes et contre-courbes, le dessin est synthétique. L’artiste détaille le volume de la poitrine, les muscles du ventre, souligne les contours de traits appuyés. Comme à son habitude, les jambes occupent une place prépondérante, quant il ébauche seulement les traits du visage et s’attarde à peine sur la main.
Le modèle est situé dans un paysage, évoqué au premier plan par des fruits posés au sol, et au-delà par une herbe hachurée. Le dessin est cerné d’un cadre elliptique qui lui donne des allures de bas-relief. Il fait notamment écho au bas-relief rectangulaire de la Victoire (ill. 1) exposé au Musée des Beaux-Arts de Montréal, qui représente une jeune femme dans une même pose introspective. Cette posture sera reprise plus tard dans celle de La Montagne (ill. 2), dont on connaît un dessin préparatoire (La Montagne, 1937, fusain sur papier à la forme, 74,5 x 101,7 cm, Musée Maillol). Notre oeuvre peut être également mise en rapport avec un ensemble de sanguines reproduites dans l’ouvrage que Pierre Camo, proche ami de Maillol, publie en 1950, en collaboration avec le fils de l’artiste, Lucien Maillol. On retrouve en couverture, un dessin assez proche représentant une femme dans une posture similaire1.
Maillol atteint dans notre dessin cette puissance évocatrice du corps féminin, dans son expression et sa sensualité, qui font de lui non seulement le chantre d’une beauté féminine idéale, mais aussi l’un des hérauts de la modernité, par l’audace de son trait et l’indépendance de son style.