Pierre noire. Porte le cachet de la collection Alfred Beurdeley (Lugt 421) en bas à gauche.
Elève de son père Nicolas puis de François Lemoyne, François Boucher commença sa carrière dans l’atelier du graveur Jean-François Cars, réalisant des eaux-fortes à partir de dessins et de peintures de Watteau, dont le style, on le sait, l’influencera considérablement.
En 1727, François Boucher se rendit en Italie, se consacrant à l’étude de Corrèges et des grands décorateurs baroques. De retour à Paris il fut admis en 1734 à l’Académie, où il présenta comme essai sa toile Renaud et Armide (conservée au Musée du Louvre). Fort de ce succès grandissant, il obtint d’importantes commandes comme la décoration de l’Hôtel de Soubise, absolument exquise, réalisée en collaboration avec Natoire entre les années 1737-40.
Même s’il fut marqué par le style de Lemoyne, Boucher sut bientôt affirmer sa touche propre en devenant le maître incontesté de l’art rocaille. Devenu peintre « à la mode », il put jouir de la faveur de Madame de Pompadour pour ne citer qu’elle, et fut très vite accueilli comme la nouvelle coqueluche des personnages de la Cour. Ce succès lui assura toutes les fonctions auxquelles un artiste peut aspirer, nommé tour à tour directeur de la manufacture de Beauvais, « premier peintre du Roi », puis de Directeur de la Manufacture des Gobelins, Versailles et Fontainebleau conservent les éléments de décor qu’il leur avait choisis.
Également, dessinateur de décors et de costumes pour l’Opéra, auteur d’illustrations pour les livres (notamment l’édition en deux volumes du Molière paru en 1734), auteur de modèles pour la manufacture de Sèvres, de cartons célèbres de séries de tapisseries, ainsi que de très nombreux dessins... la vie de Boucher fut un long tourbillon créatif couronné de succès.
Et en effet, comment lui résister ? Boucher sut tout faire et puiser son inspiration de la mythologie, du quotidien, des paysages, des portraits... Il put très vite séduire son entourage et plus largement son temps, car il ne cherchait pas à reproduire une réalité parfois triste : il s’annonçait, de façon tout à fait franche et décomplexée, avec l’arrogance des talentueux, comme un peintre précieux et sensuel. Artiste insatiable et travailleur acharné, peintre prolifique, réputé pour son art élégant et gracieux, Boucher sut se hisser jusqu’à la cime et devint un fin témoin de son temps et de la société qui l’avait créé.
Le travail n’était pas une peine pour lui, c’est même une joie. L’oeuvre de Boucher est une œuvre heureuse.
Alors penchons nous un instant sur cette pastorale fraîche et pleine de charme, révélatrice d’une de ses multiples et fascinantes facettes.
Ici nous rencontrons le Boucher qui sera surnommé de son vivant « le Peintre des Grâces » en raison de sa prédilection pour les nus féminins.
L’origine de ces pastorales, qui ont la nature pour cadre, est liée à la redécouverte de la littérature arcadienne : le roman de Jacopo Sannazaro, l’Arcadia, publié en 1504, mettait en scène les bergers de l’Arcadie grecque antique pris entre concours de poésie et histoires d’amour. François Boucher, comme l’avait fait Watteau, y puisa l’inspiration pour explorer l’art de composer et dessiner le paysage tout en y racontant une histoire.
Ici donc, nous assistons à la rencontre fortuite entre une bergère et un jeune garçon. La scène est attendue mais notre artiste a su ici la réinventer avec la mesure et le sens de l’harmonie qui le caractérisent : tout y est calme, raffiné et élégant. Comme le dit Jean François Méjanès, « cette aisance à évoquer un naturel autrefois étudié directement sur le motif et à le recomposer de manière plaisante caractérise Boucher. ». Il nous raconte ici sous les traits de pierre noire, le repos de la bergère, troublé par quelques bagatelles dont il laisse le spectateur imaginer les saveurs et rêver ce que sera la suite de cette journée bucolique parmi les feuilles, les fleurs et les fruits. Dans notre dessin, la végétation finement rendue, est ici reine et sert véritablement d’écrin au corps délicat de la bergère.
Notre dessin à la pierre noire, gravée par Gilles Demarteau et par William Wynne Ryland, est caractéristique d’une production que Boucher dessina à partir de 1755-1760 en vue de sa diffusion par la gravure : la moyenne bourgeoisie réclamait ce type de compositions, évocatrices d’un monde rural avec lequel cette classe nouvelle conservait beaucoup d’attaches.
Provenance :
Collection particulière
Bibliographie :
François Boucher hier et aujourd’hui, Catalogue d’exposition présentée à la Chapelle du Musée du Louvre du 17octobre 2003 au 19 janvier 2004, commissaires d’exposition François Joulie et Jean-François Méjanès, Editions de la RMN, Paris 2003
Boucher et la pastorale peinte, Alistair Lang, Revue de l’Art, 1986, n°73, p 55-64.
LOeuvre gravée de François Boucher dans la Collection Edmond de Rotheschild, « Inventaire général des gravures I », Edition des Musées Nationaux, Paris, 1978. Gravures par Gilles Demarteau reproduite sous le n°685 p.191 et par William Wynne Ryland reproduite sous le n°1540 p.371