27,5 x 42,5 cm
1953.
Gouache sur papier.
Signé et daté en bas à droite F.L. 53
Provenance
• France, collection particulière
Contemporain de Matisse et de Picasso, ami de Duchamp et Cendrars, Fernand Léger compte parmi ces grands noms de l’École de Paris dont l’histoire commença dans l’émulation artistique de Montparnasse, l’activité de la Ruche mais aussi celle du Bateau-Lavoir. Léger s’installa à Paris en 1900, après une scolarité peu assidue que suivit un apprentissage auprès d’un architecte. Il fréquenta l’Ecole des Beaux-arts et l’Académie Julian, travailla un temps dans la mouvance
postimpressionniste, puis participa aux premières expérimentations cubistes. Léger signa rapidement un premier contrat avec Daniel-Henry Kahnweiler, que suivirent des expositions à Paris, Moscou et New-York en 1913. La carrière de Fernand Léger, désormais bien engagée, fut brutalement interrompue avec la Première Guerre Mondiale. Réformé en 1917, sans jamais avoir cessé de dessiner au front, il reprit la peinture avec une ardeur mûrie par les années de combat. Dès cette année-là, il signait un contrat important avec le galeriste Léonce Rosenberg.
Mû par une intransigeante recherche plastique, Fernand Léger est une personnalité complexe, fascinée par la vie urbaine et les machines, icône de la modernité toute en contrastes, lui qui ne conduisait pas et n’eut jamais le téléphone. Quand ses amis emploient les papiers collés ou la photographie, Léger s’accomplit à la peinture à l’huile. L’artiste a théorisé la mort du sujet, cette notion héritée de la Renaissance italienne, arguant que les idées modernes s’attacheront désormais à l’objet, associé à l’emploi de la couleur pure. Au fil des diverses périodes de sa vie, il traduisit ce sens de l’objet dans son travail, par une peinture qui refuse l’anecdote, et désigne plus qu’elle raconte. Les objets, non situés, sont conçus indépendamment les uns des autres. La couleur, magnifiée, n’est pas là pour créer l’illusion, mais l’absence de sujet la libère.
Notre gouache, datée de la toute fin de la vie de Fernand Léger, est une belle synthèse de son œuvre. Il y a représenté, en larges traits noirs au dessin net, un oiseau couronné d’une crête, qu’entourent des motifs végétaux stylisés, des rameaux, une fleur. Juxtaposée au dessin, indépendant de lui, la couleur réduite à quatre tons est disposée en grands aplats géométriques aux formes imbriquées.
Fernand Léger met ici en œuvre l’idée de « la couleur en dehors », qui serait née lors de son séjour à New-York (1940 – 1945). « Dans les rues de New York, à Broadway exactement, j’ai été frappé par le jeu coloré des projecteurs publicitaires qui balayaient les rues. Je parlais à quelqu’un, il avait la figure bleue, puis, vingt secondes après, il devient jaune. La couleur passe, une autre arrive, et il devient rouge, puis vert. Je levai la tête et je regardai les maisons. Elles étaient striées par des bandes de couleur. Ca m’a beaucoup impressionné. Cette couleur-là, cette couleur de projecteur, elle était libre, elle était dans l’espace ; j’ai voulu faire la même chose dans mes toiles. Ce n’est pas de l’imagination, c’est une chose vue ». Les premières dissociations de la couleur et du dessin apparurent en 1940 et 1941.
En 1953, Fernand Léger a poussé à l’extrême cette recherche. Les indications qu’il donne sur la création de La grande Parade, considérée comme l’œuvre d’accomplissement de l’artiste, sont instructives dans la compréhension de notre Paysage à l’oiseau qui lui est contemporain et participe de la même esthétique. « Plus je m’examine, plus je vois que je suis un classique », confiait le peintre qui travailla longuement à l’élaboration de La grande Parade, maniant le dessin puis la gouache avant de passer à la toile. « Dans la première version, la couleur épousait les formes. Dans la version définitive, on voit quelle force, quel élan apporte l’utilisation de la couleur en dehors », complétait-il. C’est ce même mouvement, dynamique et serein, qu’atteint Fernand Léger dans notre Paysage.
L’oiseau est un motif qui traversa les différentes périodes de la vie de Fernand Léger. Les perroquets envahirent ses toiles des années 1930. Fernand Léger, à la recherche de détails pour ponctuer son travail, et lassé du motif de la fleur, aurait hérité cette idée d’un de ses amis, qui avait fabriqué un petit perroquet en peluche qu’il donna à l’artiste. Ce-dernier jugea de son effet devant ses différentes toiles, puis l’inséra dans son œuvre avec la monumentalité qu’on lui connaît. L’aboutissement de cette recherche fut la magistrale Composition aux deux perroquets (1935-1939, huile sur toile, 400 x 480 cm, Paris, Centre Pompidou, inv. AM 3026 P), précédée de nombreuses études préparatoires, et suivie d’autres dessins jusqu’en en 1940, à l’instar du Dessin inspiré de « la composition aux deux perroquets », dans une esthétique qui contient déjà les prémices de la « couleur en dehors ».
Le profil d’oiseau à crête caractéristique de notre paysage est le même que celui que porte la Femme à l’oiseau, dont les premiers dessins apparaissent en 1950, pour s’accomplir dans un tableau du même nom en 1952 (Musée Fernand Léger de Biot). Dans la même veine que les dessins inspirés par la Composition aux deux perroquets, notre Paysage à l’oiseau compte peut-être parmi ces réinterprétations fragmentaires et recomposées de la Femme à l’oiseau. Des volatiles du même genre se retrouvent jusqu’à la toute fin de la vie de l’artiste, comme la Composition aux oiseaux sur fond jaune (1955, huile sur toile, 130 x 89 cm, Musée National Fernand Léger, Biot).
Nous remercions Madame Irus Hansma d’avoir confirmé l’authenticité de notre œuvre (certificat du 22 juin 2008).
M.B.
Bibliographie générale (œuvre inédite)
Fernand Léger. Paris – New York, cat. exp., Bâle, Fondation Beyeler, 2008.
Léger monumental, cat. exp., Toulouse, Les Abattoirs, 2005.
Fernand Léger, cat. exp., Lyon, Musée des Beaux-arts, 2004.
Pierre DESCARGUES, Fernand Léger, Paris, Cercle d’art, 1997.
Fernand LEGER, Fonction de la peinture, édition augmentée, Paris, Gallimard, 2004.
Fernand Léger, cat. exp., Paris, Centre Pompidou, 1997.
Fernand Léger, une correspondance poste restante, Les Cahiers du Musée national d’art moderne, Hors-série Archives, 1997 (lettres à Simone 1931-41).
Serge FAUCHEREAU, Fernand Léger, un peintre dans la cité, Paris, Albin Michel, 1994.
Jean CASSOU, Jean Leymarie, Fernand Léger : dessins et gouaches, Paris, Chêne, 1972.