73 x 54 cm
Vers 1800
Pierre noire, estompe et rehauts de blanc
Provenance :
• France, collection particulière.
Bibliographie :
• G. Lavalley, Le Peintre Robert Lefèvre, sa vie et son œuvre, Caen, 1914
• Louis-Antoine Prat et L. Lhinares, La collection Chennevières, Quatre siècles de dessins français, Paris, 2007
Dans un intérieur d’atelier d’artiste, un peintre pose fièrement devant son chevalet. La pièce est très épurée, caractéristique de la représentation des ateliers à la fin du XVIIIe siècle (ill. 1). Le peintre, représenté en pied, est placé entre ses deux attributs : une boîte de peinture à gauche et un chevalet à droite derrière lequel sont disposés des objets qui se rapportent à son activité, dont plusieurs cartons à dessins contre le mur retenus par un vase Médicis à décor sculpté. Dans le coin de la pièce, en haut à droite de la composition apparaît une étagère sur laquelle sont juxtaposés les modèles classiques d’étude : un fragment en marbre représentant le pied de Mercure, un écorché, figure essentielle permettant l’exacte reproduction anatomique, une sculpture du profil d’Antinoüs, canon antique de beauté par excellence, ou encore deux petites sculptures d’amours, traduisant la culture de l’artiste.
Plusieurs éléments, tel que le format ovale de la toile des portraits qui ne perdure que jusque dans les dernières années du XVIIIe siècle, nous permettent de dater notre dessin à la fin du Directoire. À cela s’ajoutent des détails de représentation du modèle dont la coiffure intelligemment ébouriffée de l’artiste dite « à la noyade », adoptée au tournant du siècle, accentuée par sa tenue : sous une veste dite « de dessus » agrémentée d’un gilet croisé, apparaît un large collet blanc englobant son cou ; un pantalon taille haute habille ses jambes, et de fines bottes en chevreau complètent l’ensemble.
La qualité d’exécution de notre œuvre, aussi savante que précise, suppose la main d’un grand peintre. Elle peut à ce titre être rapprochée de l’œuvre peinte de Robert Lefèvre représentant Carle Vernet peignant (ill. 2), vraisemblablement réalisée quelques années seulement après notre dessin. La toile représentée est par ailleurs retenue par le même type de chevalet assez rare, en A, que celui présent dans notre œuvre.
Jouissant d’une renommée internationale, Lefèvre est un portraitiste du monde élégant de Louis XVI, du Premier Empire et de la Restauration. Admiré de ses contemporains, il expose fièrement au Salon entre 1791 et 1827. Les dessins issus de sa main sont extrêmement rares, les quelques témoignages connus furent détruits durant la Seconde Guerre mondiale.
Une hypothèse tend à rapprocher les traits du modèle de notre dessin avec ceux du contemporain et ami de l’artiste rencontré dans l’atelier de Regnault, Pierre-Narcisse Guérin, dont on connaît un portrait par Lefèvre conservé au musée des beaux-arts d’Orléans (ill. 3). Guérin serait alors en train de peindre le profil de l’une de ces femmes vêtues et coiffées à l’antique caractéristiques de ses œuvres dont les doux visages délicats sont traités en rondeur.
La virtuosité de l’artiste s’exprime à travers le soin accordé à chaque détail de la composition, allant du traitement des cheveux dessinés un à un, jusqu’aux serrures en losange de la boîte de peinture caractéristiques du style Directoire. Le format de l’œuvre, la qualité et la finesse du traitement suggèrent que l’œuvre fut réalisée par un peintre excellant dans le maniement de la pierre noire. Attentif observateur, Robert Lefèvre transcrit avec une grande acuité la psychologie de ses sujets. Dans une volonté de rendre la vérité des mouvements, l’artiste travaille le traitement délicat de la lumière éclairant les lignes pures et exactes des formes, traduisant le calme et la sérénité du lieu, qui prime dans la plupart de ses œuvres.
La pièce est éclairée par une lumière naturelle qui semble provenir d’une ouverture sur la gauche de la composition, illuminant le visage du modèle accentué par son collet rehaussé de gouache blanche, tout en faisant valoir la saillie des reliefs grâce aux ombres portées de la boîte de peinture, du peintre, que l’on retrouve dans son portrait de Vernet (ill. 2), ainsi que du chevalet.
Exceptionnelle par son format et par sa qualité d’exécution, notre œuvre témoigne de l’importance de la représentation de soi entre les artistes au tournant du siècle. Nous proposons d’attribuer cette œuvre à la main de Robert Lefèvre, fameux portraitiste repéré, au début du siècle, par le diplomate et écrivain Vivant Denon, qui prend la direction générale des musées de 1802 à 1815 et introduit l’artiste auprès de la cour impériale.
M.O