48,1 x 38,1 cm
Circa 1820
Pierre noire, estompe, fusain sur papier vélin.
Filigrane rogné contre le bord gauche : palmette et numéro 28.
Peintre romantique, portraitiste et lithographe, Alexandre-Marie Colin naquit à Paris en 1798, la même année que Delacroix, dans une famille bourgeoise aux ascendances artistiques : son grand-père maternel était l’un des deux frères Challe, soit Simon, sculpteur, soit Michel-Ange, dessinateur du cabinet du roi, tous deux prix de Rome. Les Colin se disaient également apparentés à Greuze et aux portraitistes Drouais.
À seize ans, en 1814, Alexandre Colin entra à l’École des Beaux-Arts dans l’atelier de Girodet, où il resta trois ans. Un esprit de liberté et de groupe animait Le célèbre dessin de Colin daté de 1817 représente le maître entouré de tous ses élèves, parmi lesquels Édouard Bertin, François-Louis Dejuinne, Achille Devéria, Robert Fleury, Joseph-Ferdinand Lancrenon et Étienne-Achille Réveil. À l’inverse de certains de ses condisciples, Colin ne tenta pas de concourir pour le prix de Rome, mais, à en croire Georges Toudouze, son arrière-petit-fils, « très indépendant de caractère, ayant un goût irrésistible pour la totale liberté, il préféra agir de lui-même, au gré de ses fantaisies de voyageur, maître de lui et sans aucune entrave ». Croyant toutefois sa formation incomplète sans un voyage en Italie, Colin partit pour la Péninsule et séjourna plusieurs mois à Venise, copiant sans relâche les maîtres anciens. L’artiste excellait dans ce genre très exigent et ses répliques étaient recherchées. La critique louait « le goût délicat et le plus exercé » de Colin dans le choix des œuvres et son talent ouvert « à toutes les beautés et aux manières les plus différentes ». Peu avant sa mort, il dispersa à Drouot de très nombreuses copies d’après les toiles conservées en Italie, mais également dans les grands musées européens.
De retour en France en 1819, Colin débuta au Salon avec un Portrait de femme (no 233). Ses portraits, paysages, sujets historiques, orientalistes et littéraires furent de tous les Salons jusqu’en 1873, mais on pouvait également les admirer lors des salons de Lyon, de Dijon, des villes du Nord de la France, ainsi qu’à la Royal Academy de Londres et à la British Institution. L’artiste partageait en effet l’anglomanie de ses amis comme Géricault – en 1819, il accompagna Le Radeau de la Méduse à Londres et en grava la lithographie distribuée à l’entrée de la salle d’exposition –, Delacroix, Eugène Isabey ou Augustin Enfantin. Colin se lia surtout avec Richard Parkes Bonington dès l’arrivée de celui-ci à Paris en 1818.
Le peintre garda un souvenir impérissable de ses années de formation à l’atelier de Girodet et de ses débuts, passées à créer dans l’effervescence de la jeunesse et entouré de ses amis artistes, parmi les plus novateurs et passionnés. Outre le dessin représentant les bustes de trente-deux élèves de Girodet autour de celui de leur maître, Colin laissa de très nombreux dessins de ses camarades, tantôt rapidement croqués sur le vif, tantôt précisément travaillés. Le Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale de France conserve ainsi un recueil factice de deux cent-vingt feuilles, de technique, facture et format différents, intitulé Croquis de l’atelier de Girodet. L’album provient de la collection d’Étienne Moreau-Nélaton, mais était sans doute réuni par Alexandre Colin à partir surtout de ses propres dessins datant des années 1820 et 1830. Dans la grande majorité des feuilles réalisées à la pierre noire, à la mine de plomb, à la sanguine ou rehaussées d’aquarelle, on reconnaît en effet aisément la main de Colin habituée au maniement du crayon lithographique, à la fois souple et précis.
À de multiples reprises, apparait dans le recueil un jeune homme non encore identifié qui figure à gauche de Colin dans la représentation de l’atelier de Girodet. Dans cinq feuilles, on le voit jouer de la guitare (plutôt que de la mandoline), avec bonheur et réelle maîtrise semble-t-il. Les traits de cet artiste-musicien ne sont pas sans rappeler ceux du modèle de notre portrait, vêtu et coiffé à la mode des années 1820. La présentation de notre dessin élégante et technique, avec la partie haute, celle du visage, très soignée, estompée et quasi photographique, et la partie basse, celle de l’assise, au contraire à peine dessinée et hachurée, fait penser aux portraits de musiciens lithographiés par Achille Devéria, ami proche de Colin depuis leur formation chez Girodet. Mais la réalisation en est très différente et se distingue surtout par un travail virtuose de l’estompe qui confère à l’ensemble un côté velouté, rapproche la pierre noire d’un lavis d’aquarelle et remplace les rehauts de blanc dans la chevelure, les yeux ou le bord du col amidonné. On retrouve la même utilisation de l’estompe dans deux dessins de l’artiste datés de 1818, le Portrait d’homme conservé à Orléans et le Portrait de jeune homme en mains privées où Colin appose même sa signature à l’estompe. Quant au regard inspiré et clair de notre jeune et si élégant joueur de guitare, il est aussi celui de Louis-Auguste Lemonnier, chanteur de l’Opéra-Comique, dessiné et gravé par Colin en 1823.
A.Z.
Nous remercions Mme Sydonie Lemeux-Frétot, chargé de mission au musée Girodet, d’avoir confirmé l’attribution de notre œuvre.
Bibliographie
Danièle SARRAT, « Un talent bien vif et bien franc” : Alexandre Colin (1798-1875) », Bulletin de la Société des Amis du musée Delacroix, septembre 2011, p. 69-80.
François FOSSIER, « Amicae liber amicorum : un recueil de portraits d’élèves de Girodet », in M. T. Caracciolo (dir.), Hommage au dessin. Mélanges offerts à Roseline Bacou, Rimini, 1996, p. 551-561.