Daniel DUMONSTIER (Paris, 1574 – 1646)

Portrait d’une dame

40,5 x 29,5 cm

Circa 1620.
Pierre noire, sanguine et estompe.

“L’un” des derniers représentants d’une dynastie illustre de portraitistes parisiens, Daniel Dumonstier fut celui qui ancra au XVIIe siècle l’art subtil du « crayon » spécifique de la Renaissance française. Développée dès la fin du XVe siècle par Jean Perréal et perfectionné par Jehannet Clouet et son fils François, cette technique très simple, puisqu’il ne s’agit que de pierre noire et de sanguine sur papier non préparé, n’en nécessitait pas moins une main sûre et virtuose, capable, en une courte séance de pose, de saisir le modèle dans sa vérité. Le tout, sans jamais s’écarter d’une formule conventionnelle de portrait en petit buste, ni, pour autant, recourir à l’idéalisation. Transposé très précisément dans la peinture autant de fois que nécessaire, réduit pour être repris en miniature, simplifié pour l’émail peint de Limoges : au XVIe siècle, le portrait dessiné était la source de toute une production et le mot « crayon » était même synonyme de « portrait ». Cependant, à l’exception notable des œuvres des Clouet réclamées par Catherine de Médicis, ces feuilles n’avaient aucune vocation à circuler et demeuraient dans les ateliers des portraitistes royaux. Ceci explique la richesse du Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale de France qui avait absorbé les grandes collections graphiques parisiennes formées à la fin du XVIIe siècle à partir, entre autres, des fonds d’atelier des trois familles d’artistes qui avaient succédé aux Clouet : les Decourt, les Quesnel et les Dumonstier.

Or, si le Cabinet possède également une large collection de portraits dessins de Daniel Dumonstier, ils proviennent majoritairement des amateurs du Grand Siècle car, à l’inverse des crayons de la Renaissance, ceux de Daniel étaient des œuvres achevées et ne supposaient la réalisation d’aucune peinture.
Daniel Dumonstier était le fils de Côme Dumonstier, spécialiste de portrait en miniature au service de Catherine de Médicis et de la reine de Navarre, et le neveu d’Étienne et de Pierre Dumonstier, portraitistes en titre de Catherine de Médicis, de Charles IX et de Henri III. C’est l’aîné, Étienne, dont l’œuvre graphique et peint doit encore être reconstitué, qui avait engagé le « crayon » sur une voie nouvelle, plus expressive et plastique. Il avait généralisé le travail à l’estompe, introduit le pastel et l’utilisation d’un pinceau chargé d’eau pour diluer les pigments et mieux rendre le vaporeux des coiffures relevées des gentilshommes et des dames des temps du dernier Valois.

Les trois frères Dumonstier avaient bâti des carrières de peintres de cour et d’officiers royaux, déliés de la corporation parisienne de peintres. Comme son père et ses oncles, Daniel entra tôt au service royal comme peintre et valet de chambre (ce dernier titre étant purement honorifique) et se donnait du « noble homme ». C’est ainsi qu’il est désigné en 1602 dans son contrat de mariage avec Geneviève Balifre, fille du maître des enfants de musique de la chambre du roi.

Avec Martin Fréminet et Daniel Rabel, il faisait partie des jeunes artistes qui avaient su séduire l’exigeant Henri IV et amorcer une évolution artistique qui aboutira au grand genre de Simon Vouet. Contrairement à ses aïeux, Daniel Dumonstier se spécialisa ainsi rapidement dans le dessin, négligeant presque entièrement la peinture. Deux fois plus grands que ceux de François Clouet ou d’Étienne Dumonstier, ses portraits au crayon étaient parfaitement finis, même s’il aimait jouer avec le rendu du vêtement en omettant de le détailler afin de mieux ressortir les visage de ses modèles. Tandis que François Pourbus venait occuper la charge du portraitiste officiel de la famille royale, Dumonstier se consacrait à saisir rapidement les membres les plus éminents de la cour de Louis XIII, créant des œuvres fragiles et raffinées tout en restant très solennelles. Certains portraits étaient gravés, mais la plupart demeuraient chez leurs modèles, soucieux de montrer ainsi leur attachement à l’ancienne tradition, leur distinction et leur culture.

Dès lors, la carrière de Dumonstier ne souffrit aucune rupture. En 1622, le roi lui accorda un logement au Louvre. Quatre ans plus tard, il rajouta à la charge de peintre ordinaire du roi et de la reine régnante (Anne d’Autriche), celle de peintre de Monseigneur frère de Sa Majesté, Gaston d’Orléans. L’artiste était un homme curieux, épris de savoir, amateur de musique et de livres, parlant plusieurs langues. Son cabinet de curiosités était un des plus connus de Paris et sa compagnie était recherchée. Il avait noué des amitiés avec les meilleurs esprits de son temps, comme l’érudit Claude Fabri de Peiresc ou le poète Malherbe.

Notre dessin illustre remarquablement la manière élégante de Daniel Dumonstier qui alliait une ligne épurée et une écriture large résolument picturale. Il représente une jeune femme vêtue à la mode du tout début des années 1620 d’une robe décolletée à haute collerette festonnée en dentelle. Un grand nœud orne son corsage. On retrouve une robe tout à fait similaire dans le portrait d’une dame inconnue daté par l’artiste lui-même ce 8. de mars 1620 et conservé au Cabinet des Estampes (Na 24b rés., fol. 33). Les cheveux du modèle sont relevés et recouverts d’un bonnet qui semble un attifet de veuve même s’il ne possède pas de pointe caractéristique descendant sur le front. Par ailleurs, la dame porte peu de bijoux et uniquement les perles, seuls joyaux permises aux veuves. Une cordelette noire plonge sous le bord du décolleté : elle retient une croix ou un médaillon.

À la même époque, Dumonstier dessina une autre dame inconnue coiffée de façon identique : l’un des trois portraits de profil connus, il permet d’en voir la construction ingénieuse. Cet attifet particulier indiquait très vraisemblablement qu’il s’agissait d’une veuve remariée. Malheureusement, rien ne permet d’identifier le modèle de ce crayon pour attester cette hypothèse. De même, la dame de notre feuille garde son anonymat involontaire puis qu’aucune inscription ne vient renseigner son nom et qu’aucun portrait connu, qu’il soit peint ou gravé, ne montre le même visage. Grâce à sa mise, on peut seulement affirmer qu’elle était d’extraction éminemment noble et appartenait à la plus haute société. Son identité est probablement à rechercher parmi les dames d’honneur de la reine Anne d’Autriche ou les épouses des grands serviteurs de la Couronne.

Avec une douceur et une acuité remarquables, le portraitiste saisit les traits fins de la dame, la profondeur de son regard brun, ainsi que la blancheur de son teint qui laisse transparaître les petites veines bleutées sur la tempe. La sanguine vient délicatement souligner les lèvres carmines, l’orle des paupières et l’oreille, tandis que l’estompe voile la chevelure, adoucit les contours et devient tantôt ombre, tantôt – dans le nœud notamment – véritable couleur.
A.Z.

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Daniel LECŒUR, Daniel Dumonstier. 1574-1646, Paris, Arthéna, 2006.

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