30,2 x 30,5 cm
Pierre noire et sanguine.
Feuille agrandie à droite.
C’est en ces termes peu élogieux, « il a travaillé dans la maniere de son Maître » Charles de La Fosse, que Jacques Lacombe qualifiait l’art de François Marot. Cela ne doit pas surprendre et nombre d’élèves qui ont fréquenté l’atelier d’un grand artiste (Vouet, Le Brun, Boucher ou David) ont vu leur production se confondre et se perdre sous une mauvaise étiquette. De nouvelles connaissances sur les œuvres et les artistes permettent aujourd’hui de redécouvrir ces mains secondaires que l’historiographie n’a pas tout le temps épargnées au point d’avoir écrit de Marot qu’il n’était qu’un « imitateur vulgaire » . Pourtant, des études récentes ont heureusement contribué à le distinguer de La Fosse et à reconnaître en lui – certes le plus important de ses suiveurs – un peintre identifiable par des formes parfois plus rondes et un coloris plus vif, annonçant la nouvelle génération de Charles Antoine Coypel et Carle van Loo notamment .
Marot, né vers 1666 à Paris, a donc fréquenté l’atelier de Charles de La Fosse malgré un apprentissage réalisé auprès de son père. Sa production de jeunesse n’est pas connue et ses œuvres sûres sont datées avec difficulté à l’exception d’un tableau. C’est en 1702 qu’il remet son morceau de réception à l’Académie royale de peinture et de sculpture, Les Fruits de la paix de Ryswick, composition allégorique montrant un Apollon ramenant du ciel la Paix accompagnée de l’Abondance pour favoriser les Sciences et les Arts (Tours, musée des Beaux-Arts). Les sources anciennes permettent ainsi de connaître avec certitude certains tableaux religieux ou mythologiques (ainsi la Latone et les paysans de Lycie pour le Grand Trianon) d’un coloris plus acide que chez La Fosse. Depuis les études sur ce dernier, de nouvelles attributions sur la base stylistique ont pu être réalisées à Marot, comme le lumineux Bacchus et Ariane récemment passé sur le marché de l’art. Une caractéristique émane ainsi d’un corpus de quelques dizaines de tableaux : Marot semble avoir apprécié les amours des dieux ou ce qui deviendra avec François Boucher, la mythologie galante, laissant un peu de côté le très grand format ou les sujets religieux.
Mais les dessins de François Marot demeurent difficiles à appréhender. Quelques feuilles ont pu lui être attribuées, soit parce qu’elles préparent son morceau de réception, soit parce qu’elles possèdent une inscription ancienne faisant foi. Dans ces dessins, on reconnaît ce La Fosse assagi avec un certain talent. Les compositions d’ensemble de Marot sont encore plus rares, mais il se plaît à prévoir l’agencement des personnages par des contours épais sans s’intéresser véritablement au fond qui les accueillera. Ses dessins de figures isolées répondent à la même idée, mais d’un aspect fini, là où La Fosse aurait été plus rapide et nerveux, avec un trait sûr, qui ne se trompe pas.
Le sujet, issu de La Jérusalem délivrée, poème épique écrit par Le Tasse en 1581, connut un regain d’intérêt tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, de Poussin à Tiepolo, en passant par La Fosse. Le moment représenté, qui provient du chant XIV, est celui où la magicienne Armide s’apprête à tuer le chevalier chrétien Renaud alors qu’il est endormi. Marot n’a pas nettement dessiné le poignard qu’elle doit tenir, mais son élan retenu par un Amour et sa main refermée révèlent l’action à produire : elle veut tuer Renaud. Mais « d’ennemie elle devient amante », comme le veut le texte, et Armide tomba finalement amoureuse, se résigna, et finira par emmener son amant sur une île. François Marot suit donc le texte avec une certaine rigueur.
La formule de La Fosse est d’ailleurs perceptible dans le dessin que nous présentons : ces compositions qui placent une grande diagonale ont été très appréciées par les artistes autour de 1700. Les couples Diane et Endymion, Vénus et Mars, Bacchus et Ariane ou Renaud et Armide comme ici, s’adaptent parfaitement à cette mise en page, l’un allongé et l’autre venant à sa rencontre. L’étude préparatoire du Renaud et Armide du maître conservée au Snite Museum of Art, semble même être, dans le sens inverse, la référence de Marot pour son sujet tant la posture et le type physique correspondent. Le chevalier est allongé à moitié sur son bouclier, une jambe repliée, la tête ronde aux traits épais, penchée en arrière, la bouche entrouverte évoquant le tableau du même sujet par La Fosse, œuvre conservée à Basildon Park.
Le dessin partage de nombreux points communs avec la feuille préparant Les fruits de la paix de Ryswick, pour laquelle Marot a utilisé une sanguine au trait épais pour les contours, et qui s’affine et s’allège dans les plages aux cernes marquées. C’est de cette façon qu’est dessiné le Renaud, dont les contours robustes s’opposent au traitement de la cuirasse composée de ptéryges dont la sanguine est légère et plus esquissée. Il en va de même pour le traitement d’Armide : sa cuisse droite révèle un premier dessin à la pierre noire encore visible à travers un drapé fluide et entraîné par le mouvement de la jeune femme, qu’un putto tente d’arrêter. On retrouve cette même pierre noire pour le fond, comme dans le dessin cité précédemment, où il est possible de discerner un paysage esquissé avec rapidité et adresse. Comme dans le Bacchus et Ariane, le groupe est placé du côté de la nature, équilibrant la composition avec une ouverture sur le lointain. Le dessinateur se reconnaît aussi dans certains détails, ainsi la main recroquevillée aux doigts fuselés et le poignet mince d’Armide, contrastent avec un avant-bras arrondi comme en sont pourvus Apollon et l’allégorie de l’Histoire en bas à droite de la composition du tableau de Tours.
S’il n’est pas possible de proposer une datation en raison d’un œuvre encore mal connu — au moins dans l’intervalle 1690-1719 ses années d’activité —, il est fort probable que notre dessin prépare un tableau de chevalet du peintre, qui s’en était fait une spécialité. Les rares mentions anciennes de Marot dans les catalogues de vente ne permettent pas d’identifier d’œuvres sur ce sujet, qui a pu passer sous le nom du « maître des Modernes ».
Damien Tellas
transl. chr
Bibliographie générale (œuvre inédite)
Clémentine GUSTIN-GOMEZ, Charles de La Fosse, 1636-1716. Le maître des Modernes, Dijon, Faton, 2006, 2 vol.
François MARANDET, « Dans le sillage de La Fosse : François Marot (1666-1719), peintre d’histoire », Cahiers d’histoire de l’art, no 8, 2010, p. 41-47.