Projet d’éventail
Gouache sur vélin
23 x 39,5 cm
Provenance :
• France, collection particulière
Bibliographie :
• Lille au XVIIe siècle des Pays-Bas espagnols au Roi-Soleil, [cat. exp.], Palais des beaux-arts de Lille, Réunion des musées nationaux, Paris, 2000
• Autant en porte le vent : éventails, histoire de goût [cat. exp.], Bordeaux : Musée des Arts décoratifs, Somogy éditions d’art, Paris, 2004
• Monique Maillet, Une dynastie de peintres lillois, les Van Blarenberghe, B. Giovanangeli, Paris, 2001
En 1668, la conquête de Lille et d’une partie des Flandres par Louis XIV permet de lier définitivement les productions picturales française et flamande déjà étroitement rapprochées au siècle précédent. Dans ce contexte, certains flamands adaptent leur production et optent pour la naturalisation. Les peintres français, quant à eux, absorbent et filtrent les principales caractéristiques artistiques de leurs confrères. À l’orée du XVIIIe siècle, l’influence nordique se retrouve largement dans la production picturale, mais demeure bien souvent difficile à déceler puisque les courants et contacts entre artistes s’enchevêtrent. Lille est finalement rattachée à la France par le traité d’Utrecht en 1713 mais subsiste profondément imprégnée de ses racines flamandes et hollandaises. Notre gouache, que l’on peut dater de la fin du règne de Louis XIV, témoigne de ce croisement d’identités.
Les artistes peintres assimilent les techniques de composition nordiques dont une attention toute particulière dédiée au rendu des détails qu’ils mettent au service de commandes françaises telles que les éventails. L’historiographie reconnaît à Catherine de Médicis l’importation de la mode italienne des éventails en France de laquelle émane une demande croissante au cours du XVIIe siècle. Cet engouement donne lieu à l’émergence de maître éventaillistes qui, travaillant de pair avec des peintres, produisent de véritables petits tableaux qui servent de modèle à la feuille de l’éventail. Le cœur de cette production se situe alors à Paris aux environs de la rue Saint-Denis.
À l’origine fait de bois ou de peau parfumée, la réalisation d’un éventail sollicite, à la fin du XVIIe siècle, plusieurs interventions. La monture est taillée et sculptée par un tabletier tandis que la réalisation de la partie peinte exige le concours de plusieurs peintres réalisant des dessins préparatoires auxquels sont ajoutés les couleurs par la suite. La parcellisation des tâches explique l’absence de signature sur la plupart des feuilles produites à cette époque. Notre feuille semble avoir été réalisée par une ou plusieurs mains flamandes, probablement à Paris où la demande est la plus conséquente.
La plupart des projets d’éventails sont peints à la gouache. Les fines découpes apparentes sur notre feuille nous permettent d’affirmer qu’il s’agit d’un modèle conçu pour un modèle dit « brisé » dont les brins ainsi formés seront disposés sur un support de bois, d’ivoire ou d’os. Une fois la tache achevée, l’objet pourra être entièrement replié par un petit clou apposé dans la partie basse appelé rivure.
Dans un paysage délimité par quelques arbres et une architecture en ruine en arrière-plan à gauche et une ville à droite, n’apparaissent pas moins de 24 personnages. Paysans, bourgeois en tenue de chasse ainsi qu’un couple de mariés sont ingénieusement disposés en trois groupes, dévoilant un récit. Suivant une lecture de gauche à droite un pique-nique est préparé par un ensemble de paysans tandis que les festivités vraisemblablement organisées pour le couple venant de la droite sont célébrées au centre. Enfin, le dernier groupe placé sur une barque à gauche rejoint le reste de la composition.
La finesse et la précision dont notre œuvre fait preuve traduit l’habileté de la main de l’artiste qui conserve soigneusement le souvenir de la tradition picturale flamande. De cette synthèse d’influences, l’artiste, attentif au rendu des moindres détails, peut être rattaché au milieu artistique lillois du début du XVIIIe siècle. Les bourgeois se distinguent nettement des paysans par le raffinement de leurs étoffes. Les femmes sont coiffées de chapeaux à plumes permettant de retenir leur chevelure durant la chasse. Il est amusant de noter la délicate mise en abyme au centre de la composition figurant un personnage féminin tenant d’une main un verre de vin et tandis que l’autre tient entre ses doigts un éventail.
L’image de la vie en dehors de Paris relayée à travers l’iconographie des plaisirs champêtres trouve un véritable engouement au cours du XVIIIe siècle. Le thème du mariage et pique-nique de notre gouache marque ainsi une nette opposition au siècle précédent qui présentait majoritairement des thèmes mythologiques (ill. 1). Leur représentation sur les feuilles d’éventails rappelle que cet objet est avant tout dédié au plaisir, miroir du goût et de l’élégance.
Après la conquête française, le nord du royaume connaît une prospérité économique qui donne lieu à un certain dynamisme artistique. Louis XIV entend faire de Lille l’une des plus belles villes du territoire français, expliquant la grande richesse et finesse des œuvres qui y sont produites, parmi lesquelles les éventails tiennent une place importante. Symbole de richesse et de reconnaissance sociale, nécessaire au maintien, il devient au cours du XVIIIe siècle un élément indispensable à l’éducation des jeunes filles.
M.O