56,2 x 51,1 cm
1902
Aquarelle, gouache, pastel et rehauts d’or sur papier Ingres marouflé sur carton.
Signé et daté en bas à droite Edgard Maxence 1902.
Dans le coin inférieur droit, cachet à sec du papetier MBM véritable papier d’Arches.
Au revers, annoté au crayon bleu Monsieur Touraille et deux étiquettes, de collection et d’encadrement.
Provenance
· Collection M. Touraille (probablement acquis auprès de l’artiste).
· France, collection particulière.
Exposition
1925, Bruxelles, Galeries des Artistes Français de Bruxelles.
2018-2019, Les derniers impressionnistes, le temps de l’intimité, exposition au Singer Laren, Palais des lumières d’Evian et Musée de Quimper
Edgar Maxence naquit en 1871 dans une famille aisée de la bourgeoisie nantaise. Après de solides études dans sa ville natale, le jeune homme se présenta en 1891 au concours de l’École des Beaux-arts de Paris, où il fut reçu quarantième sur quatre-vingt. Il s’inscrivit dans l’atelier de son compatriote Elie Delaunay, avant de rejoindre à la mort de celui-ci la classe de Gustave Moreau. L’art de Maxence s’épanouit sous le regard de ce maître devenu ami, qui sut encourager l’émergence de personnalités artistiques aussi variées que Matisse, Albert Marquet ou Georges Rouault. En 1894, Maxence – qui signait désormais Edgard – exposa pour la première fois au Salon des Artistes Français. Entre 1895 et 1897, on le trouva à trois reprises aux expositions de la Rose+Croix. Indépendant des grands courants de l’art de la première moitié du XXe siècle, Maxence mena une carrière confortable, entre Paris où il était installé, et Nantes où il s’illustra par de nombreux portraits. Travailleur assidu, recevant dans son atelier palette à la main, Maxence poursuivit fidèlement son idéal artistique, dans un style qui n’évolua guère et le fit surnommer « le derniers des symbolistes ».
Refusant à dessein les scènes de genre, la peinture naturaliste ou anecdotique, Edgard Maxence créa un art recueilli, mystérieux, teinté d’attrait pour le Moyen-âge et les légendes celtiques. Apollinaire louait un travail « d’un grand sentiment poétique, […] et d’un lyrisme contenu qui n’ont rien de conventionnel ». L’artiste privilégia la figure féminine, dans des compositions énigmatiques assorties de noms symboliques soigneusement choisis.
En 1900, à l’Exposition universelle, Maxence présenta Les Fleurs du Lac qui lui valurent la médaille d’or. Dans la continuité de ses succès au Salons des deux années précédentes, l’Âme de la forêt et l’Âme de la source, l’artiste conçut un grand panneau comme une procession solennelle et grave de belles femmes et de jeunes hommes, avançant au rythme de leur chant dans une nature sauvage de la côte Atlantique où règnent les pins maritimes. Vêtues de robes somptueuses aux couleurs chatoyantes et abondamment brodées, ces prêtresses de la nature sont coiffées de bonnets ouvragés dont la forme s’inspire des coiffes bretonnes du Pays de Retz et de ses environs, les tissus lourds et précieux du Moyen Âge remplaçant la traditionnelle dentelle blanche. Inévitablement, l’attention se concentre surtout sur la jeune femme rousse, silencieuse et recueillie, à la coiffe particulièrement complexe et fascinante.
On retrouve, dans notre pastel daté de 1902, la même coiffe, brodée ici de fils d’or et d’argent, les mêmes grandes fleurs s’épanouissant sur la robe et les mêmes pins maritimes de La Bernerie-en-Retz avec leurs épines doubles et graphiques. Il n’y a cependant plus de procession, mais une seule jeune femme androgyne aux cheveux bruns, représentée en buste, rêveuse, le regard doré perdu dans le lointain. D’une beauté singulière et sauvage, ce visage semble avoir beaucoup absorbé Maxence au tournant du siècle : c’est le même modèle, vu de face et les paupières baissées, qui personnifie La Foi dans le pastel exposé hors concours au Salon de 1902 (no 2043), et apparaît dans Le Missel (1899) ou Après la Victoire (1903).
De six envois au Salon, La Foi fut celui qui marqua le plus les visiteurs : « une figure présentant un caractère intense d’inspiration religieuse, qui ressort avec ampleur ; il nous faut insister sur la richesse décorative d’expression, l’harmonie de l’exécution et l’intensité du relief auxquels l’artiste sait atteindre », écrivait un journaliste. On pourrait dire la même chose de notre pastel, même si toute connotation religieuse en est absente. Car, même en imaginant que le modèle de Maxence ait réellement existé, notre Sérénité n’est pas un portrait, mais une évocation, une émotion, un recueillement. Caractéristique de l’artiste et ici magistralement employée, la technique qui mêle pierre noire, pastel, gouache et rehauts d’or conforte cette dimension mystérieuse, en alternant l’opacité et la profondeur suggestive des matières, la netteté du trait et le non-fini.
Notre pastel est un brillant témoin du travail de cet homme au « tempérament d’enlumineur » qu’était Maxence, selon les mots du critique Marc Elder : « je veux dire que l’âme des vieux artistes patients qui décoraient jadis les Écritures ou les Heures, a refleuri dans son âme. Il est de la lignée de ces parfaits poètes qui entrelaçaient des lumières colorées dans la marge des parchemins. Comme eux, il possède la conscience, la probité des moyens, le sens des sinuosités élégantes et des harmonies fastueuses de distinction et de charme ».
M.B. & A.Z.
Bibliographie générale (oeuvre inédite)
Cyrille SCIAMA, Edgard Maxence : les dernières fleurs du symbolisme, cat. exp. Nantes, Musée de Beaux-Arts, Douai, Musée de la Chartreuse, 2010, p. 35, 78.