Gouache et pastel. Signé et daté 1903 en bas à droite.
Reçu aux Beaux-arts de Paris en 1891, Maxence intégra l’atelier du portraitiste et décorateur nantais Elie Delaunay, qui devint également un grand ami. A la mort de Delaunay, Maxence rejoignit l’atelier de Gustave Moreau. Il y trouva un climat d’émulation et d’ouverture, et les encouragements constants d’un maître qui le considérait comme l’un de ses meilleurs élèves. Il fit sous sa direction une brillante carrière à l’Ecole des Beaux-arts. Maxence exposa pour la première fois au Salon des artistes français en 1894. Il y connut le succès, mais échoua l’année suivante dès le premier tour au concours du prix de Rome. Cette défaite eut une incidence intéressante sur l’œuvre de l’artiste : le monde onirique que construisit Maxence est imprégné de sa connaissance littéraire et imaginative de l’Italie, où il ne se rendit pour la première fois qu’en 1920. Dans un premier temps influencé par Gustave Moreau, Maxence dépeint un univers à l’iconographie très personnelle, teintée de mystère. On y retrouve mêlés son goût pour le Moyen-âge et son sens religieux, ainsi qu’une prédilection pour le portrait notamment redevable à son premier maître.
Si l’œuvre de Maxence l’inscrit dans le courant symboliste, il en est une personnalité à part. Ayant choisi une carrière parisienne, il demeura pourtant très en retrait d’un milieu artistique alors en effervescence. Il ne fut pas un théoricien, il lisait peu et ne s’est pas engagé dans le développement de l’art moderne. L’artiste élut pour cimaises le Salon des artistes français, exceptées trois incursions à la Rose+Croix (1895-1897). Il n’est pourtant pas un artiste « académique », et son originalité ne trompe pas. Apollinaire louait un travail « d’un grand sentiment poétique, (...) et d’un lyrisme contenu qui n’ont rien de conventionnel ». Maxence entretint également des liens étroits avec sa ville natale ; il y développera une clientèle bourgeoise pour laquelle il réalisera de nombreux portraits.
On retrouve dans « Après la Victoire » les préoccupations techniques qui habitèrent Edgard Maxence. Il étudiait les techniques anciennes, utilisait la tempera, mêlait la cire à ses pigments, et employait volontiers la feuille d’or. Ses dessins sont également le fruit d’une appréhension complexe du médium. A l’image de notre œuvre, il mélangeait la gouache et le pastel, et parfois l’encre de chine, sur des traits préalables de pierre noire. Magistralement exécuté, notre dessin recèle jusque dans sa matière une dimension mystérieuse, que l’on retrouve dans l’emploi symboliste du pastel, plus doux, plus suggestif que l’huile.
Maxence était avant tout un portraitiste, mais il ne semble pas s’être ici particulièrement attaché à la représentation de son modèle. Celui-ci, androgyne, paupières baissées, offre une expression énigmatique que le titre n’aide pas à déchiffrer – autant de caractéristiques qui rapprochent Maxence des Préraphaélites. Le vêtement du modèle, le fond sur lequel il s’inscrit, déploient un chatoiement expressif de couleurs, et forment un contraste saisissant avec son visage absorbé.
On peut comparer notre œuvre à L’âme de la forêt (Nantes, Musée des Beaux-arts). Les visages – un ensemble de portraits – y sont rassemblés dans une composition à l’atmosphère énigmatique. L’œuvre s’inscrit dans une petite série sur « l’âme ». Préoccupation hautement symbolique, l’âme n’est pas seulement comprise dans son acception spirituelle : elle exprime la personne dans son essence. Dans ce sens, notre portrait – comme la série d’« âmes » – ne tend pas à décrire une personne, mais à représenter l’être et le mystère qui l’environne.
On retrouve l’étonnant visage de ce modèle dans La lecture sacrée (dit aussi La méditation, vente Sotheby’s, Londres, 24 juin 1987). La figure est alors nimbée et ailée : sa personnalité androgyne la classe parmi les anges. Peut-être notre œuvre représente-t-elle également une sorte d’ange, aux ailes rehaussées des précieux motifs de paon.
Notre pastel est un brillant témoin du travail de cet homme au « tempérament d’enlumineur » qu’était Maxence, selon les mots du critique Marc Elder. « Je veux dire que l’âme des vieux artistes patients qui décoraient jadis les Ecritures ou les Heures, a refleuri dans son âme. Il est de la lignée de ces parfaits poètes qui entrelaçaient des lumières colorées dans la marge des parchemins. Comme eux, il possède la conscience, la probité des moyens, le sens des sinuosités élégantes et des harmonies fastueuses de distinction et de charme ».