40,2 x 100 cm
1900
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Pastel sur papier marouflé sur toile.
Signé en bas à gauche de saint-genois
Provenance
• France, collection particulière
Charles-Albert de Saint-Genois de Grand-Breucq est issu d’une vieille famille noble du Hainaut. Son arrière-grand-père, François Joseph, comte de Saint-Genois, historien et généalogiste, fut député aux états nobles du Hainaut. Établi à Prague après la Révolution brabançonne, il devint chambellan de l’Empereur François II. De retour à Tournay, la famille dut subir la suppression des droits féodaux et autres mesures financières prises sous Napoléon. Ruiné, le comte attendit la chute de Bonaparte pour se prévaloir de ses titres et fut nommé premier héraut d’armes du Royaume-Uni des Pays-Bas. Le grand-père du peintre, le comte Ferdinand (1793-1838), paraît avoir mené une existence tranquille de magistrat. La fille de celui-ci, Charlotte Élisabeth, dite comtesse de Saint-Genois de Grand-Breucq (1830-1900) s’établit en France, d’abord dans le Nord, puis à Asnières près de Paris. Quoique célibataire, elle donna naissance à trois fils : Hippolyte Alexis né en 1853, Paul Alfred né en 1857 et Charles-Albert.
Très tôt passionné par la peinture, Charles-Albert entra à l’École des Beaux-Arts de Paris où il suivit l’enseignement de Joseph-Nicolas Robert-Fleury (1797-1890) et de Fernand Humbert (1842-1934). Le jeune artiste se lia d’amitié avec Henri Gervex (1852-1929) qui eut une influence décisive sur sa carrière.
En 1885, Saint-Genois débuta au Salon avec Au Moulin de la Galette (no 2172). L’année suivante, il présenta Une Répétition au café-concert des Ambassadeurs appartenant à un certain M. Ducarre (no 2107,). Comme bien des peintres de cette époque, Saint-Genois se passionna pour les divertissements populaires : bal, cirque, théâtre de boulevard. Un univers qu’il connaissait bien grâce notamment à son frère Paul Alfred, qui se produisait comme prestidigitateur sous le nom de Dicksonn avant de diriger un théâtre à Asnières. Le peintre participa à l’exposition organisée par ce dernier en 1892 « sur les terrains de Buffalo Bill » porte Maillot à l’occasion de l’anniversaire du débarquement de Christophe Colomb en Amérique. Charles-Albert y était chargé du « musée panoramique », tandis que son frère s’occupait du « théâtre de sorcellerie rétrospective ». Le public pouvait également y découvrir des pantomimes, des « attractions diverses » et danser. Très original de par son format panoramique et sa composition, notre pastel reflète l’intérêt porté par Saint-Genois aux gens ordinaires, déjà visible dans la Répétition au café-concert des Ambassadeurs. Dans la peinture, il regroupa les artistes sur le côté gauche, s’intéressant plus spécialement à leurs visages, au détriment presque du reste du corps. Le Journal du soir va plus loin encore, cadrant la composition au plus près des têtes de l’homme un peu lourd et de la jeune femme enjouée. Restés en dehors du cadre, les gestes se devinent avec peine. Qui sont ces personnages ? La femme, est-elle une vendeuse de la rue, fille ou épouse ? Et l’homme, serait-il un acheteur anonyme ou bien père ?
Les ombres bleues projetées sur le mur par le soleil couchant contribuent au mystère, confrontant le profil ouvert de la jeune femme et le regard baissé de l’homme. De même, le léger flou propre au pastel, mais également à la manière de Saint-Genois puisqu’on le retrouve dans ses peintures à l’huile, fait ressembler la scène à un mirage, une apparition furtive dans un miroir ou à travers la vitre d’une voiture de train.
La scène a priori anodine devient énigme dont la clé est probablement l’humeur gaie de la femme qui se répand en jaune d’or. Mais notre pastel est également un élément décoratif dans le plus pur esprit de l’Art Nouveau qui dicte la fluidité des lignes d’un cou, l’irréalité des fleurs et jusqu’à la forme des lettres de la signature de l’artiste.
A.Z.