30 x 38 cm
Pastel sur toile préparée montée sur châssis
Signé et daté en bas à gauche Jean Pillement an 9, R
Provenance :
• France, collection particulière
Bibliographie :
• Georges Pillement, Jean Pillement, Paris, Chez Jacques Hamont, 1945
• Nicole Riche, Laurent Félix, Maria Gordon Smith (sous la direction), Jean Pillement paysagiste du XVIIIe siècle, Béziers, musée des beaux-arts de Béziers, 2003.
• Maria Gordon-Smith, Pillement, préface d’Alastair Laing, Cracovie, Irsa, 2006
Cinquième fils d’une famille lyonnaise ancrée dans la tradition artistique depuis des générations, Jean reçoit, en même temps que son éducation familiale, un apprentissage du métier et choisit naturellement une carrière de peintre. Le jeune élève fait preuve de dons précoces dans le maniement du crayon dont il travaille toutes les facettes : dessin, craie, pastel. Il poursuit sa formation sous l’égide de Daniel Sarrabat II (1666 - 1748), peintre actif de sa région, lui-même formé à Rome dans la tradition du baroque. L’œuvre de son maître n’influe en rien sur son inspiration et Jean se tourne vers l’étude la nature.
Arrivé à Paris à l’âge de 15 ans, il est admis comme dessinateur à la Manufacture Royale des Gobelins. La reconnaissance qu’il y acquiert lui permet de se forger une solide réputation. Fidèle à son admiration pour la nature, il réalise désormais de nombreuses œuvres de chevalet et débute une carrière de paysagiste. Dès lors, son œuvre devenue intensément décorative, se retrouve dans de nombreuses cours d’Europe. À partir de 1745, l’artiste multiplie les voyages qui se poursuivront jusqu’à la fin de sa carrière. Il est à Madrid durant 3 ans, puis Lisbonne dans les années 1750, en Italie et en Autriche. À Londres en 1754, il expose à la Society of Artists en 1760, 1761 et plus tard lors de son second séjour en 1773, 1779 et 1780 (Free Society).
Tout au long de sa carrière, Pillement est accueilli dans les milieux aristocratiques et développe aisément une clientèle internationale. À son retour d’Espagne en 1775, il est à Avignon. Depuis lors et jusqu’à sa mort en 1808, il se consacre exclusivement à la peinture de paysage. L’œuvre que nous vous présentons est datée
an 9 R (an 9 de la République), c’est-à-dire entre 1800 et 1801.
Dans une époque où les peintres développent un intérêt croissant pour la nature, Pillement effectue lui aussi un rapprochement avec le monde naturel. Tout comme quelques contemporains, il se heurte à la théorie classique de la peinture d’histoire, sacrée, profane et mythologique qui détient encore, au cours du XVIIIe siècle, une prédominance incontestable. De ce fait, il restera, toute sa carrière durant, à l’écart des Salons officiels français.
En s’interdisant de représenter la nature sans l’animer de personnages, Pillement rejoint le versant réaliste de la peinture française du XVIIIe siècle. Il présente une synthèse de deux genres en vogue à la fin du siècle : la peinture de paysage et la scène de genre. Les figures n’ont guère le rôle de protagonistes mais doivent animer et sublimer la nature environnante. Dans nombres de ses œuvres, l’artiste choisit d’illustrer la simplicité de la vie quotidienne. Dans le paysage italianisant idéalisé que nous vous présentons, une lavandière se tient debout, entourée de deux bergers. Au second plan, trois pêcheurs s’affairent sur leur barque. La scène prend place au bord d’une rivière encadrée par un pont arqué représenté dans quelques autres compositions (ill. 1).
Pillement se détache de ses contemporains en proposant une œuvre ni utopique comme celle lancée par Watteau, ni moralisante comme celle de Chardin ou de Greuze. Son œuvre entend représenter l’expérience sensible, ce que l’œil voit retranscrit sans artifice. Inspiré par les maîtres hollandais du Siècle d’or tels que Nicolaes Berchem (1620-1683), il déploie un foisonnement de détails et accorde une grande importance à l’étude des plantes afin d’en retranscrire le moindre feuillage avec la plus grande acuité.
Les théoriciens comparent ces artistes à des écrivains. Boucher est comparé à Catulle, Greuze à Molière, Vernet à Buffon, Chardin à La Fontaine. Pillement n’échappe pas à cette influence et établit un lien entre le dessin et la poésie, alliant la légèreté à la puissance descriptive.
Parmi les pratiques qu’il aborde, le pastel s’impose progressivement comme sa technique de prédilection. L’absence de préparation permet de produire instantanément, les propriétés crayeuses créent un effet fondu apportant, selon la densité du trait, tantôt du volume tantôt l’aspect naturel de la pierre ou de la végétation. Dans notre œuvre, l’observation directe de la nature dévoile une sensation d’une réalité immédiate traduite par la rapidité du trait.
Réalisée 8 ans seulement avant sa mort, notre œuvre illustre la dextérité de la main de l’artiste dans ce procédé qu’il maîtrise parfaitement. Dans un grand nombre de ses plus exquis pastels, l’ensemble de la composition est dominé par un camaïeu d’une couleur unique, tantôt bleue (ill. 2), tantôt grise (ill. 3). Dans notre paysage, l’artiste joue avec un double camaïeu de bleu et d’ocre. Les tons d’ocre sont utilisés pour la scène de genre et le pont recouvert de verdure. Les bleus retranscrivent savamment le ciel ainsi que les montagnes en arrière-plan.
M.O