101 x 71 cm
Circa 1920.
Pastel sur papier. Signé en bas à gauche.
Provenance
France, collection particulière.
« Je n’ai jamais envisagé la peinture que comme un moyen d’exprimer mes idées, mes sentiments, mes perceptions intérieures ; c’est un langage ou dialecte plastique, en images. »
Henry de Groux
Redécouvert depuis peu grâce notamment à la publication en 2007 de son Journal – un manuscrit de dix-huit volumes –, Henry de Groux est depuis considéré par les historiens de l’art comme l’un des grands représentants du réalisme social en peinture. Fils du peintre réaliste Charles Degroux, il étudia à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles. En 1888, à l’âge de vingt-deux ans, il peignit un Christ aux outrages, au format monumental (293 x 353 cm, huile sur toile, Avignon, Palais du Roure) qui connut un succès retentissant lors de son exposition à Bruxelles, puis à Paris. Proche des milieux littéraires belges, ami des peintres symbolistes, de Groux fut élu en 1887 membre de l’un des cercles artistiques les plus avant-gardistes de l’époque, le Groupe des XX, fondé en 1884 par James Ensor, Fernand Knopff et Théo Van Rysselberghe. Malheureusement, son caractère ombrageux et son opinion sans concession sur certains peintres comme Paul Signac, Édouard Manet ou Vincent Van Gogh que le Groupe des XX admirait, le fit exclure de ce cercle en 1890, le privant de la célébrité qui fut celle de ses confrères à l’aube du XXe siècle.
De Groux déménagea alors à Paris et poursuivit son œuvre marqué par un réalisme emprunt d’un symbolisme puissant, parfois à la limite du mysticisme. Il exposa régulièrement et fréquenta les peintres, les poètes et les musiciens, tels Toulouse-Lautrec, Apollinaire, Rodin, Mallarmé, Oscar Wilde ou Debussy. Mais l’amitié fusionnelle qu’il entretenait avec Léon Bloy, écrivain passionné et mélancolique, éclata au moment du débat national qui se fit jour lors de l’affaire Dreyfus. De Groux se passionna en effet pour les idées d’Émile Zola qu’il défendit avec ferveur.
Le tempérament bouillonnant et torturé de l’artiste le plongea dans une période sombre. Son existence tumultueuse et son travail devinrent indissociables. Son dégoût pour le monde qui l’entoure s’exprime à travers ses peintures inquiétantes, voire violentes, au dessin complexe et chargé de matière. Difficile d’accès, son œuvre est néanmoins souvent visionnaire et toujours inclassable. Si de Groux eut une nette préférence pour les sujets bibliques et mythologiques, sa vision apocalyptique du monde et son humanisme véhément lui firent également aborder une dimension plus sociale. Une récente exposition au musée Fenaille de Rodez mit ainsi en avant ses dessins au fusain consacrés à la Première Guerre Mondiale, dans lesquels les poilus étaient devenus les martyrs du XXe siècle.
Après l’Armistice, le peintre s’installa en Provence, accueilli notamment pendant trois ans par Jeanne de Flandreysy au palais du Roure, à Avignon. Il avait reçu quelques commandes publiques et participa notamment à la décoration de l’escalier de l’Opéra de Marseille. Après le traumatisme de la guerre, son œuvre s’anima de couleurs vives du soleil du Midi quasi oriental, à l’exemple du pastel représentant une Procession en Camargue.
Notre grand pastel appartient à la même époque et représente, dans un tourbillon de couleurs flamboyantes, traitées en touches larges et fougueuses, un groupe de sonneurs de cloches dans une église aux vitraux bleutés. Ce thème touche à la fois au sentiment religieux et à la réalité sociale, mettant en scène une profession déjà oubliée, qui peut être perçue d’un point de vue purement profane. Les quatre hommes sont figurés pieds nus, en plein effort, dans un mouvement collectif qui apporte à l’ensemble une dramatisation et une tension qu’on retrouve souvent dans les œuvres de de Groux. Ce dynamisme de la composition renforcé par les larges traits de couleurs vives n’est pas sans rappeler l’héritage de Delacroix, artiste que de Groux appréciait particulièrement.
Bibliographie
Rodolphe RAPETTI, « Un chef d’œuvre pour ces temps d’incertitude : Le Christ aux outrages d’Henry de Groux », La revue de l’art, 1992, no 96, p. 40-50.
Henry de Groux (1866-1930). Journal, éd. R. Rapetti et P. Wat (dir.), Paris, INHA, 2007.
Benoît DECRON, Jérôme DESCAMPS et Aurélien PIERRE, Henry de Groux, le front de l’étrange, catalogue d’exposition, Rodez, musée Fenaille, 2015.
Jean-David JUMEAU-LAFOND, Les Peintres de l’âme. Le Symbolisme idéaliste en France, catalogue d’exposition Bruxelles, Musée d’Ixelles, 1999, p. 71-72.