55,6 x 46,6 cm
Pastel sur papier marouflé sur toile
Provenance :
France, collection particulière
Bibliographie :
• Neil Jeffares, Dictionnary of pastellists before 1800, Unicorn press, 2006, p. 163-173
• Georgette Lyon, Joseph Ducreux, Premier peintre de Marie-Antoinette (1735-1802) : sa vie son œuvre, La Nef de Paris Edition, 1958
Issu d’une famille d’artistes originaire de Nancy, le jeune Joseph Ducreux reçoit sa formation auprès de son père Charles Ducreux, qui avait établi sa réputation en tant que peintre du roi de Pologne. Lors de son apprentissage, il développe un goût pour le dessin et s’épanouit plus encore en découvrant le pastel, très en vogue en Angleterre et démocratisé depuis le début du XVIIIe siècle, présentant l’avantage pour les portraitistes de produire rapidement et à moindre coût. En rejoignant Paris en 1760, Ducreux côtoie les plus grands peintres et pastellistes en vogue dont Jean-Baptiste Greuze qui deviendra l’un de ses plus proches amis, et conseiller :
« Finissé vos ouvrages tant que vous pourrés, revenés y trente fois si il le faut, vos fonds bien empastés, tachés de faire au premier coup, et ne craignés jamais de revenir après, pourvu que ce soit en glacis ; nempastés jamais vos dentelles ni vos gazes ; soyés piquant si vous ne pouvés pas être vrai, ne faites jamais vos tete plus grosse que nature ni au dessous autant qu’il vous sera possible. (…) Faites des études avant que de peindre en dessinant surtout ».
La paternité de leurs œuvres a pu par pailleurs être souvent confondue . L’artiste met en pratique ces conseils tout en étudiant sous l’égide du meilleur pastelliste de son temps : le célèbre Maurice-Quentin de La Tour (1704-1788), ce qui lui assura une grande renommée.
Après un court séjour en Angleterre, Ducreux revient à paris et expose pour la première fois au Salon de l’Académie désormais ouvert à tous par un décret de l’Assemblée nationale quelques temps auparavant. Après quelques succès aux évènements officiels, Ducreux se voit confier de nombreuses commandes de portraits de nobles familles dont les Noailles, La Rochefoucauld, et La Live de Jully pour lesquelles il exécute ses premiers pastels, sous l’œil bienveillant de La Tour. Une plus importante et délicate responsabilité lui incombe lorsque le duc de Choiseul l’envoie en 1769 en Autriche afin de dresser les portraits de Mesdames les Archiduchesses Amélie et Marie-Antoinette future Dauphine de France, dont le mariage avec le Dauphin, futur Louis XV, devait être célébré au printemps suivant.
« Le Roi a marqué une tres vive satisfaction au sujet des portraits des A.R. les Sérénissimes Archduchesses Marie.-Antoinelle et Marie-Therèse’... Au lever d’avant-hier, tous les assistants, ministres etrangers et courtisans, ont vu le portrait en question. »
De 1770 à 1789, l’artiste connaît une carrière très fructueuse : nommé premier peintre de la reine, membre de l’Académie de Vienne, et peintre du roi il rejoint l’Académie impériale de Vienne avant de revenir à Paris, à l’Académie de Saint-Luc.
La Révolution française marque un tournant dans l’œuvre de l’artiste qui joue un rôle politique important en tant que volontaire engagé. En 1793, Ducreux expose au Salon les effigies de plusieurs révolutionnaires dont Couthon, Robespierre, Saint-Just, Mirabeau, Barnave ou encore Jean Charles Thibault de Laveaux, icônes de la Révolution auxquelles il rend hommage. Parmi ces visages révolutionnaires apparaît notre portrait. Bien que demeurant non identifié, l’artiste gratifie l’homme d’un portrait d’une excellente qualité, célébration d’un acteur de la Révolution, impliqué dans l’évolution des idées nouvelles.
D’un regard aussi serein que savant, le visage de notre modèle est coiffé à la mode de la fin du XVIIIe siècle : une perruque grisâtre, blanchie par l’utilisation de la poudre dont on aperçoit les retombées sur les épaules. Une tenue caractéristique de l’époque révolutionnaire habille le modèle d’une épaisse lavallière blanche englobant son cou, agrémenté d’un élégant jabot de dentelle retombant sur sa poitrine. Par-dessus, une redingote de velours bleue à doublure rouge au col rappelle les couleurs du drapeau tricolore, adopté quelques temps auparavant, le 24 octobre 1790, dont sont vêtus la plupart de ses modèles révolutionnaires (ill. 1 ou 2).
Ses portraits sont appréciés pour la vivacité d’esprit transmise de ses modèles. Excellent dessinateur, sa remarquable maîtrise du pastel lui permet de rendre, par des effets d’estompe, les vibrations de la chair et des matières, masquant, lorsqu’exigé, les disgrâces éventuelles de son modèle. Cependant, dans un souci de vérité, Ducreux s’intéresse principalement à la physionomie de ses modèles et néglige de traduire les accessoires superflus. Ici, la minutie des détails du visage et de la perruque dont les cheveux sont dessinés un à un rendent le modèle vivant.
Au-delà de l’ingéniosité dont il fait preuve dans le visage, l’artiste rend avec beaucoup de réalisme l’habit, dont l’épaisse redingote de velours que l’on retrouve dans la plupart de ses modèles. Le bleu éclatant de la veste de notre modèle est similaire à celui porté par le baron de Montjean (ill. 3).
Le talent de cet artiste favorisé et protégé par ses relations avec l’Ancien Régime fut très apprécié jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Sa fuite en Angleterre en 1791 ne durera pas, Joseph Ducreux se veut un citoyen modèle. En regagnant la France il prouve son patriotisme en réalisant les portraits de révolutionnaires dont notre œuvre est un formidable témoignage. L’artiste rejoindra par ailleurs la Société des amis de la Constitution puis la garde nationale de Paris avant d’être nommé, en 1793, membre du comité de l’instruction publique.
M.O