Pastel sur papier préparé bleu, marouflé sur toile
Maurice Quentin de La Tour naquit à Saint Quentin, dans l’Aisne. Dès sa plus tendre enfance, il montra un goût prononcé pour le dessin, comme le raconte son premier biographe, Mariette.
Sa période de formation est mal connue. Peu d’indices précèdent son entrée à l’atelier parisien de Claude Dupouch en octobre 1719. Dans les années qui suivirent, il se rendit à Saint Quentin et à Cambrai où il exécuta des portraits, et rencontra l’ambassadeur d’Angleterre qui fut à l’origine de son séjour outre-Manche, resté d’ailleurs assez mystérieux.
La rencontre du jeune La Tour avec Rosalba Carriera par l’entremise du banquier et mécène Crozat en 1720 fut décisive dans la carrière de l’artiste. En effet, il reprit la technique des pastels réalisés sur papiers marouflés sur toile, adoptée par Rosalba. C’est donc un moment charnière de la carrière de l’artiste qui va contribuer à développer en France ce médium qui sera plus tard repris par les plus grands, dont Lemoyne, Boucher, Natoire, Chardin Perronneau…
C’est en 1727 qu’il s’installe définitive à Paris. Fort des conseils des peintres Louis de Boullogne et Jean Restout, il acquit rapidement une grande notoriété. En 1735, Voltaire lui commanda son portrait. En 1737, l’artiste fut agrée à l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture en qualité de « peintre de portraits au pastel » et participa au Salon avec Madame François Boucher, et l’inoubliable Autoportrait riant.
C’est le début de la gloire et du succès : Louis XV, la Pompadour, Marie Leszczynska, le Dauphin et bien d’autres membres de la famille royale et de la cour lui commandent leur portrait. Il devient la coqueluche du Tout-Paris.
Il est reçu à l’Académie en 1746, et en devient conseiller en 1751. Il continua à réaliser des portraits jusqu’en 1773, date à laquelle il cessa de montrer ses œuvres au public. En 1784, sa santé mentale commença à se dégrader, le pauvre homme dut alors quitter Paris et son logement du Louvre pour sa ville natale.
Marqué sans doute par les idées des Lumières, il avait créé en 1782 l’École gratuite de Dessin.
Ce fameux portraitiste des princes et de la cour nous livre ici le portrait de Prosper Jolyot de Crébillon, vieux poète tragique aussi surnommé « l’Eschyle français ». Ce pastel, présenté au public en 1761, reçut un assez bon accueil. Présenté tête nue, vêtu d’une toge à la romaine, le vieux poète ne manque pas de panache et d’audace, car il s’agit là de l’un des premiers exemples de portrait contemporain traité à l’antique, formule qui connaîtra au cours du XVIIIe siècle un immense succès. Cette coquetterie de la part de Crébillon, protégé de Voltaire, est assez amusante, car le personnage n’était pas particulièrement connu pour son sens de la fête, et ce portrait avenant ne dit pas toute la misanthropie du modèle. En effet, Crébillon lançait à qui voulait l’entendre : « J’aime les animaux depuis que je connais trop bien les hommes ». Poète au succès fluctuant, Crébillon a toujours vécu dans une certaine pauvreté, sans faire le moindre excès et recueillait les chats et les chiens égarés. D’ailleurs le timide sourire esquissé et la lassitude palpable dans le regard de l’intéressé montre bien la vivacité d’esprit de celui qui tout en ayant beau vivre de sa plume, n’en savait pas moins comprendre tout le cynique et l’ironique de la vie.
Notre bel et austère portrait résume toute la technique expressionniste de l’artiste qui sait nous émerveiller par la vibration et le modelé des chairs.
Et c’est là toute la délicatesse de Maurice Quentin de la Tour : en véritable « voleur d’âmes », comme le surnomme Xavier Salmon, il sût toujours comprendre et prendre ces hommes et ces femmes tels qu’ils étaient et les sonder avec bonté, pour n’en tirer que le meilleur.
Les visages sont toujours saisis dans leur intime essence et c’est bien là que la notion de portrait psychologique prend tout son sens.
Bibliographie :
X.SALMON, « Le voleur d’âmes, Maurice Quentin de la Tour », exposition au Château de Versailles, Artlys, 2004. Voir reproduction, page 92 fig. 1, avec l’esquisse préparatoire sous le n°12.
C.DEBRIE, X. SALOMON, Maurice Quentin de la Tour, prince des pastellistes, Somogy Editions d’Art, Paris, 2000.