45,5 x 55 cm
Circa 1740.
Huile sur toile, esquisse.
Provenance
France, collection particulière
Exposition
Probablement Salon de 1739 : « Sur la porte. [...] De part & d’autre, Deux petits Tableaux de même grandeur, dont l’un représente Vertumne & Pomone ; & l’autre, Bacchus & Arianne, par M. Boizot, Académicien » (Explication des peintures, sculptures et autres ouvrages de Messieurs de l’Académie royale, dont l’exposition a été ordonnée suivant l’intention de Sa Majesté... dans le grand sallon du Louvre..., Paris, 1739, p. 17).
La rencontre de Bacchus et d’Ariane, que Thésée avait laissé seule sur l’île de Naxos, fut l’un des sujets les plus prisés par les artistes depuis la Renaissance et jusqu’au XIXe siècle. Et ceci, alors même qu’Ovide n’y consacre qu’une courte phrase dans le livre VIII de ses Métamorphoses : « le cruel l’abandonna dans l’Isle de Naxe. Tandis qu’elle se livre à sa douleur & à son desespoir, Bacchus se presenta pour la consoler, & s’offrit même à l’épouser ». Dans ce mythe d’une apparente simplicité, chaque époque trouvait matière à imaginer et à créer : la beauté des corps de la princesse et du dieu juvénile, la diversité infinie des poses, l’exotisme de l’endroit entre mer et rochers, l’exubérance de la suite de Bacchus, les sentiments complexes des deux protagonistes entre désespoir, surprise, confusion, réconfort, générosité et affection, et surtout la fin heureuse, à l’inverse des autres histoires d’amour entre dieux et mortels.
Notre petit tableau s’inscrit dans la tradition du fastueux XVIIIe siècle français qui fit de ce mythe une véritable célébration de l’amour galant. Tenus à distance l’un de l’autre par l’étiquette stricte du Grand siècle, Bacchus, attentionné et tendre, et Ariane, dénudée mais chaste, se touchaient enfin. Cette première étreinte pudique était prétexte au déploiement d’un somptueux cortège composé de satyres rieurs, de bacchantes couronnées de lierre, de putti espiègles, de petits amours virevoltant dans les airs et d’animaux. Le dieu du vin et de la fête apparaissait entouré de toutes les richesses de la nature et d’une multitude d’objets précieux : guirlandes de fleurs, paniers de raisins, char d’or tiré par les léopards, vases, joyaux, instruments de musique. Antoine Coypel dès 1693 (Philadelphie, Museum of Art, inv. 1990-54-1), puis François de Troy en 1717 (Berlin, Kaiser Friedrich Museum, inv. KFMV.241), François Lemoyne (dessin dans une collection particulière), Charles Joseph Natoire en 1743 (Versailles, inv. MV 7698), François Boucher vers 1749 (perdu), Carle Van Loo (coll. part.) ou Louis Lagrenée en 1757 et 1768 (collection particulière ; Stockholm, Nationalmuseum, inv. NM 841) : les peintres de l’Académie royale rivalisaient d’ingéniosité pour mieux chanter les amours du dieu et de la mortelle Ariane et satisfaire le goût exigeant de la cour de France.
Tirant son inspiration de Coypel (les guirlandes de fleurs, le geste de Bacchus qui soutient le bras gauche d’Ariane), de de Troy (la bacchante au tambourin, la tête légèrement renversée en arrière de la jeune femme) et surtout de Lemoyne (la pose du dieu en contrepartie, le drapé derrière le couple), notre peinture est l’œuvre d’un artiste méconnu et dont le corpus demeure étonnamment maigre malgré une carrière réussie.
Né en 1702 à Paris, Antoine Boizot fit justement sa formation chez François Lemoyne : son art en resta fortement marqué. En 1729, le jeune artiste fut second au concours du Prix de Rome, derrière Philothée-François Duflos. L’année suivante, il remporta le premier prix avec Giezi serviteur d’Élisée, ce que lui permit de partir en pensionnaire en Italie durant quatre ans, de 1731 à 1735. De retour à Paris, il fut agréé comme peintre d’histoire à l’Académie en 1736 et reçu le 25 mai 1737 sur présentation d’Apollon caressant Leucothoé. La même année, il exposa pour la première fois au Salon et fut nommé peintre, « dessinateur aux traits » et professeur à la manufacture royale des Gobelins. Il y resta jusqu’à sa mort survenue à l’hôtel des Gobelins en 1782. Un an après son entrée à l’Académie, Boizot épousa Marie Oudry, fille du peintre Jean-Baptiste Oudry, morte jeune en couches. L’artiste se remaria ensuite avec Jeanne-Marie Flottes qui lui donna huit enfants dont le sculpteur Louis-Simon Boizot (1743-1809).
Boizot fut présent à presque tous les Salons entre 1737 et 1771 avec des peintures mythologiques aux sujets légers mettant en scène Vénus, l’Amour, l’Aurore ou les Muses, à l’instar de Vénus priant Vulcain de forger des armes pour son fils Énée connu d’après la gravure (1747) ou l’Aurore invoquant l’Amour pour obtenir le rajeunissement de Titon dont le dessin préparatoire est conservé au musée de Poitiers (1753). La plupart de ces toiles devaient sans doute être traduites en tapisserie aux Gobelins, ce qui, combiné à l’absence quasi systématique de signature, explique la reconstitution difficile de l’œuvre de Boizot.
Ces œuvres certaines de l’artiste, ainsi que son morceau de réception offrent beaucoup d’analogies avec notre toile qui semble constituer une esquisse préparatoire très poussée pour une composition plus grande ou un carton de tapisserie. On y retrouve la même organisation théâtrale de l’espace avec l’arrière plan très rapproché et le cadrage serré, le type de figures inspirées de la statuaire antique, l’intérêt pour les ornements et les attributs, la recherche d’un effet décoratif, les drapés épais et enveloppants, la gestuelle détendue. La proximité évidente de notre tableau avec les peintures de Lemoyne les plus librement travaillées, notamment dans la touche large, le hachurage régulier dans les reflets de lumière ou la prédominance de tons chauds, donne presque raison à Pahin de La Balcherie lorsqu’il écrivait à propos de la Déification d’Énée de Boizot exposée en 1783 au Salon de Correspondance : « [Boizot] avoit pris la manière de son maître au point que plusieurs tableaux de chevalet pourront être attribués à ce dernier. Sa composition, sa couleur & sa touche en sont une parfaite imitation ».
Loin de n’être qu’un épigone de Lemoyne, Boizot se révèle dans notre peinture un artiste original et un coloriste remarquable. De ses multiples inspirations, il tire une composition élégante et recherchée, toute en courbes et contre-courbes, aux éclairages de théâtre qui caressent les volumes, créent des ombres transparentes et colorées, assombrissent le ciel et s’éparpillent en mille feux dans les détails conférant à l’ensemble un effet chatoyant. Travaillant avec une pâte généreuse et grasse, l’artiste conçoit son œuvre comme un équilibre subtil entre les couleurs tendres de bleus, de roses et de jaunes d’or qui évoluent, par touches onctueuses, dans un camaïeu d’ocres. Lyrique et somptueux, notre tableau est un apport précieux et inestimable au corpus d’Antoine Boizot, académicien et dessinateur aux Gobelins dont la renommée ne résista pas à la célébrité de son fils, le sculpteur Louis-Simon Boizot.
A.Z.
Nous remercions M. Alastair Laing d’avoir suggéré l’attribution de notre tableau.
Bibliographie générale (œuvre inédite)
Sophie JOIN-LAMBERT, Peintures françaises du XVIIIe siècle. Catalogue raisonné, musée des beaux-arts de Tours, château d’Azay-le-Ferron, Tours, 2008, no 4.