72,5 x 112 cm
1925-1926. Huile sur sa toile d’origine. Signé E. R. Ménard en bas à gauche.
Au revers de la toile, une composition rognée représentant probablement une leçon dans un couvent.
On joint une lettre autographe de René Ménard :.
« Paris le 19 février 1926 Cher monsieur, mes tableaux destinés à l’Exposition de Bruxelles ont quitté hier mon atelier. Je vous remercie de m’avoir laissé pour cette exposition mon tableau « Bucolique » que vous venez d’acheter. Je désirais beaucoup que cette toile figure à Bruxelles. Mes tableaux seront de retour fin mars et je ferai porter de suite votre tableau chez MM Personnaz et Gardin. La glace réparée du tableau. Veuillez présenter à Madame Carlos Mayer mes respectueuses hommages et croyez à mes sentiments les meilleurs. E. R. Ménard. 126 Bd de Montparnasse ».
Provenance
• Collection Dr Carlos Mayer, Buenos-Aires.
• Argentine, collection particulière.
Exposition
1925, Bruxelles, Galeries des Artistes Français de Bruxelles.
Manifestée très jeune, la vocation artistique d’Émile René Ménard fut encouragée par son père, directeur de la Gazette des Beaux-arts. Avec ce dernier, le jeune homme séjourna régulièrement à Barbizon où la peinture de Corot, Millet, Diaz ou Daubigny fit écho à sa propre sensibilité. L’artiste hérita également de son oncle Louis Ménard, philosophe païen proche du mouvement parnassien, une fervente admiration pour l’Antiquité. Après une formation dans l’atelier de William Bouguereau, puis à partir de 1880 à l’Académie Julian, Ménard exposait pour la première fois au Salon en 1883.
René Ménard fut une personnalité attachante, aussi joviale dans ses relations que sérieuse dans son travail. « C’est un homme grand et vigoureux, au visage coloré encadré d’une barbe frisée, avec des yeux pétillants, malicieux, ironiques et bons, une expression joyeuse et saine », décrivait Camille Mauclair en 1914 dans La Revue de l’art ancien et moderne. Esthète, il aimait s’entourer de pièces de choix, tapis persans ou stucs de l’Italie médiévale, marbres grecs et chapiteaux romans. Sa carrière de paysagiste illustra une quête de perfection classique et un goût pour un Âge d’or idéal, fruit d’une indépendance d’esprit qui héritait librement des grands maîtres comme Poussin, mais faisait peu de cas des tourments de son temps. Évoquant l’impressionnisme, Mauclair poursuivait ainsi :
« Il semble que les querelles récentes sur la peinture aient encore moins existé pour René Ménard que pour ses amis. […] René Ménard est tellement classique qu’il ne s’est pas même aperçu de tout le désordre fiévreux qui dure encore... »
Si c’est une Antiquité rêvée que veut traduire René Ménard, ses paysages n’en sont pas moins les reflets d’une nature attentivement observée par cet œil poète, comme l’attestent les nombreux carnets de croquis conservés par le département des Arts graphiques du Musée du Louvre. L’artiste voyagea beaucoup, au gré d’une carrière qui le mena en Sicile, à Rome, Venise ou Ravenne, mais aussi au Maroc et en Algérie, en Grèce et en Palestine. Les nombreux croquis rapportés ne se transformaient en tableaux que dans le secret de l’atelier.
« Je ne travaille vraiment que chez moi, dans mon atelier, par étapes successives, sur les notes prises en plein-air, sur des croquis saisis au moment fugitif où l’intensité de la lumière complète le paysage. Alors, je le décompose rapidement, d’après ses valeurs, ses gradations, allant du plus clair au plus obscur » (cité par Gaulis in L’Opinion, 1914).
Peinte au verso d’une composition redécoupée, où figure une carmélite aux côtés d’une jeune fille devant une fenêtre ouverte sur un parc, notre Bucolique s’inscrit dans le corpus de ces grandes toiles arcadiennes conçues en atelier. Le titre donné par Ménard évoque les Bucoliques de Virgile, elles-mêmes tirées de la poésie pastorale grecque. Sous un ciel serein, au milieu d’un paysage méditerranéen traversé d’une rivière, quelques vaches paissent, entourées de bergers. De la conception unifiée découle un parfait équilibre : ciel et terre forment un harmonieux écrin, où les animaux et les hommes se déploient loin de toute évocation du quotidien ou du familier. D’autres tableaux très proches transmettent cette même sérénité, telle la Bucolique : étude de décoration peinte en 1821 et aujourd’hui conservée au Musée d’Orsay.
Si les premières années de Ménard furent caractérisées par une matière lisse, économe et fluide, la facture est ici plus vive, reflet d’une liberté offerte par la maturité. La touche riche et généreuse fait vibrer la lumière dorée de la fin du jour. Au milieu du troupeau, la figure humaine est caractéristique de la conception de Ménard : il présente un âge éternel, reflet d’une humanité idéale et factice. Loin des nymphes de Henri Gervex ou des belles de Paul Chabas, les jeunes femmes de Ménard ont l’hiératisme détaché des déesses grecques. L’une d’elle, à demi-nue, se penche à la rivière pour puiser de l’eau ; une autre, dans sa tunique souple, porte sur la tête une jarre. La troisième a la grâce discrète d’une chaste pastourelle. A leur côté, un homme nu rappelle l’importance de la figure masculine dans le travail de Ménard, à une époque versée surtout dans la célébration du « beau sexe ».
L’artiste tenait manifestement beaucoup à notre Bucolique, qu’il vendit à l’argentin Carlos Mayer. Après avoir été élu à l’Académie des Beaux-arts de Bruxelles le 20 novembre 1925, Ménard exposa du 2 au 15 mars 1926 aux côtés d’Aman-Jean aux Galeries des Artistes Français de Bruxelles. Comme l’atteste une lettre autographe datée du 19 février 1926, il obtint de Carlos Mayer l’autorisation de présenter son tableau à l’exposition de Bruxelles avant de le lui remettre. La Bucolique y figurait au milieu d’une sélection d’œuvres emblématiques du travail du peintre : Pastorales, Berger au soleil couchant, Baigneuses (lever de lune), Paysage antique....
« Comment résumer la poétique de Ménard ? Je dirai passion de la nature, passion de la beauté et du bel équilibre d’abord... L’amour du bon goût, du grand goût comme disait Gustave Moreau ; un sens de la pudeur tel qu’à la pureté du nu grec, son idéal cependant, Ménard dans ses figures à trouvé moyen d’ajouter la chasteté ; ainsi sa personnalité se détache très singulièrement sur l’ensemble de sa génération. (Georges Desvallières). »
M.B.
Bibliographie générale (œuvre inédite)
C. GUILLOT, « La quête de l’Antiquité dans l’œuvre d’Émile-René Ménard », Bulletin de la Société d’Histoire de l’Art français, 1999, p. 311-336.
André MICHEL, Peintures et pastels de Pierre Ménard, Paris, Armand Colin, 1923.
René Ménard. 1862-1930, cat. exp. Château-Musée de Dieppe, 1969.