Huile sur cuivre.
Provenance
France, collection particulière.
Si les recherches menées par Pierre Rosenberg et Jean-Pierre Cuzin ont permis de dissocier de l’œuvre des frères Le Nain tout un corpus de tableaux à la personnalité très particulière, aucun document n’a jusqu’alors été capable de lever l’anonymat de cet artiste qui continue à porter le nom de convention du Maître des Cortèges ni de retracer un tant soit peu sa biographie. On peut seulement penser que ce peintre, le plus ambitieux et varié des suiveurs des frères Le Nain, était de formation française et travaillait dans les années 1645-1660, vraisemblablement à Paris pour une clientèle aisée de collectionneurs.
Son nom de Maître des Cortèges fut formé à partir de deux peintures, la Procession du bœuf gras (Paris, Musée Picasso, inv. R.F.1973) et la Procession avec un bélier (Philadelphia Museum of Art, inv. E1950-2-2), mettant en scène des paysans coiffés de couronnes de feuilles de vigne qui lèvent leurs verres de vin pour célébrer Bacchus et la boisson et sont moqués par les enfants et les gentilshommes. Dans ces cortèges farfelus, le ridicule, le grossier et le faux-semblant règnent en maître, auxquels répondent les compositions volontairement théâtrales et tassées, les figures trapues, la palette brun-gris ponctuée de rouge vif pour quelques bonnets et vestons. Tout ceci se retrouve aussi dans la Fiancée normande (collection particulière), la Rixe de Portefaix (Moscou, musée Pouchkine des Beaux-Arts, inv. 2974) ou L’Homme se faisant servir du vin (Bristol Museum & Art Gallery, inv. K2418).
Le contraste est d’autant plus saisissant avec les compositions religieuses du Maître des Cortèges, empreintes d’une sensibilité toute chrétienne, sans aucune affectation ni grandiloquence baroque. On y reconnaît pourtant sans peine la même main attentive et patiente, la même lumière fraîche et directe, le manque de profondeur, la disposition scénique des figures, les erreurs d’échelle, les visages ovales au long nez légèrement pointu, les draperies épaisses et pesantes, la gamme de couleurs froides réchauffée par quelques détails de rouge profond comme dans les scènes paysannes, mais aussi de jaune d’or, vert clair ou rose pâle. De dimensions et provenances variables, les quelques peintures religieuses que l’on donne aujourd’hui à notre artiste forment un groupe parfaitement cohérent, facilitant la recherche d’autres œuvres.
Outre les caractéristiques du style, toutes présentent en effet des compositions simples et cependant originales, s’écartant volontiers des schémas iconographiques établis, habitées d’une émotion sincère qui se lit dans les mains jointes, posées sur le cœur ou ouvertes et dans les regards étonnés, contristés ou intériorisés. C’est autant le cas de la grande Adoration des bergers (Berlin, Nationalgalerie, inv. 67.4, ill. 1), de l’Assomption de la Vierge (Rennes, musée des Beaux-Arts, inv. 1794-1-40), de l’Annonce aux bergers, scène nocturne tout en longueur (collection particulière, ill. 2), que de notre Crucifixion avec sainte Marie-Madeleine, petit tableau de dévotion sur cuivre, un peu plus grand que le Couronnement d’épines du Louvre (inv. RF 2002-13). Certes, le thème de Marie-Madeleine seule au pied de la croix n’est pas nouveau. Mais alors que les autres artistes cherchaient à stabiliser la mise en place en déplaçant légèrement la croix et en rapprochant la sainte le plus possible – ainsi Jacques Stella dans son cuivre réalisé à Rome en 1625 –, le Maître des Cortèges n’hésite pas à isoler la figure de la Madeleine dans l’angle inférieur gauche, soulignant sa profonde douleur proche du désespoir. Un déséquilibre accentué par la présence de deux anges dans le ciel prématurément assombri et par la succession abrupte de plans à droite avec les soldats romains dont seuls les casques sont visibles et la ville de Jérusalem au loin baignée de lumière orageuse. D’une rare intensité, notre Crucifixion avec ces bustes d’anges qui paraissent fixés sur les nuages denses et cette lumière blanche tend vers l’icône, tout en offrant quelques passages sublimes comme la figure du Christ, la couronne d’épines qui se confond avec l’auréole dorée, les cheveux blonds de Madeleine ou son habit aux reflets irisés.