Jean RAOUX (Montpellier, 1677-Paris, 1734)

Deux jeunes femmes se regardant dans un miroir

61 x 78 cm

Circa 1730.
Huile sur toile ovale mise au rectangle au XIXe siècle

Provenance
· Collection Guy et Christiane de Aldecoa, Paris.

Œuvre en rapport
Version autographe plus grande, Jeunes filles au miroir (105 x 128 cm, Mauguio, collection particulière ; voir Hilaire, Zeder, p. 197, no 35, repr.)

Deux jeunes femmes, l’une blonde, en robe bleu ciel, l’autre brune, en corsage jaune moutarde et jupe cramoisie, se mirent dans une glace avec calme, non sans un soupçon de satisfaction et de curiosité. Venant de droite, du côté de la blonde, la lumière s’éparpille en reflets sur le satin de sa robe, traverse les délicates perles qui entourent son cou fin, rougit ses joues, caresse ses cheveux et vient rebondir sur le miroir pour éclairer les doux visages et les gorges blanches, puis disparaître dans l’opacité du fond brun. Seul un drapé ocre suggère un intérieur, donnant à la toile un caractère sinon de portrait – car les visages des deux coquettes ne sont pas individualisés –, du moins d’allégorie, mais lui ôtant toute banalité d’une scène de genre.

Cette lecture, plus poétique que réaliste, de notre tableau est corroborée par le peu d’accessoires et la simplicité de la mise des deux jeunes femmes. En outre, le format initial ovale et allongé de la toile et un très léger effet da sotto in su confirment qu’il s’agit d’un élément de décor, sans doute un dessus de trumeau plutôt qu’un dessus de porte. Surmontant autrefois un vrai miroir, notre tableau prenait alors tout son sens, apportant une pointe d’esprit à un décor raffiné d’une demeure française de la Régence. En même temps, ces allusions à la brièveté de la beauté et de la jeunesse restent discrètes, et paraissent diluées dans le charme et la grâce du tableau propres à l’art de Jean Raoux.

On reconnaît en effet ici aisément la main de cet artiste qui sut réunir dans sa peinture le colorito vénitien, la thématique flamande, la lumière hollandaise et la gracilité française de la fin du règne de Louis XIV. Élève d’Antoine Ranc à Montpellier et de Bon Boullogne à Paris, il remporta le premier prix de l’Académie en 1704 ce qui lui permit de faire un long séjour en Italie. À Venise, il devint proche de Philippe de Vendôme, grand prieur de l’ordre de Malte. Grâce à la protection du prince, Raoux put, à son retour à Paris en 1711, loger à la commanderie du Temple. Reçu à l’Académie en 1717 comme peintre d’histoire avec Pygmalion amoureux de sa statue présenté le même jour que le Pèlerinage à Cythère de Watteau, Raoux, aux dires d’Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville, « devint à la mode » : « on lui demandoit des portraits, des dessus de porte, & de petits sujets tirés de l’histoire & de la fable [...] et des sujets de caprice qui font voir une femme qui lit un papier, qui cachette une lettre, une jeune fille qui représente le silence [...], une belle qui chante . »

En 1719, Philippe de Vendôme démissionna de sa charge au profit de Jean Philippe d’Orléans, fils naturel du Régent, et s’installa dans un hôtel rue de Varenne. Il y fut suivi par Raoux qui demeura rue de Varenne jusqu’à la mort de son bienfaiteur en 1727, puis revint au Temple, rappelé par le Grand Prieur d’Orléans. C’est la demande de ce dernier que l’artiste orna les appartements du palais Prieural du Temple de plusieurs tableaux : « des demi-figures de Vestales, deux filles regardant dans un miroir, un paysan portant des figues qu’une bergere veut avoir, deux chanteuses qui tiennent un livre de musique, & plusieurs Arts & Sciences personnifiées, telles que l’Astronomie, la Géométrie, l’Histoire, la Musique, qui étoient placées dans les lambris du salon . »

Notre composition est le reflet de celle peinte pour le Grand Prieur d’Orléans, de dimensions plus grandes et non localisée, à l’inverse de son pendant, Le Duo, conservé aujourd’hui dans une collection particulière. On connaît par ailleurs une autre paire de toiles, de taille comparable à celles du Temple et également en mains privées : l’une est une réplique du Duo, tandis que l’autre est une reprise quasi littérale de notre tableau. Raoux avait l’habitude de peindre plusieurs versions de ses œuvres les plus réussies. Pourtant, outre quelques détails insignifiants comme la présence d’un fauteuil derrière la jeune femme en bleu, c’est le sujet même qui s’y avère très différent et narratif. En effet, dans cette peinture, la femme blonde est en train d’arranger un petit bouquet de fleurs sur son corsage : elle observe le résultat dans le miroir tenu par la brune qui n’est qu’une servante, ce dont témoigne la sobriété de sa tenue qui contraste avec le luxe de la robe bleue. A contrario, dans notre toile, les deux compagnes portent des vêtements assez semblables et la jeune femme en bleue pose sa main droite sur l’épaule de celle qui apparaît comme une tendre amie.

L’hypothèse est séduisante de voir dans notre version la reprise plus exacte de la peinture peinte pour le palais prieural. En effet, la paire semble avoir été dissociée très tôt, puisque Le Duo apparaît déjà seul dans la vente Vassal de Saint-Hubert du 17 janvier 1774 : « tableau connu sous la dénomination de la blonde & de la brune, remarquable par des effets de lumière admirables » (lot 81). On imagine plus facilement un pendant qui reprend cette idée d’une douce complicité entre « la blonde & la brune », plutôt que d’une subordination. Par ailleurs, la facture moelleuse de notre toile, son caractère laconique et sa grande poésie rappellent non seulement Le Duo, mais plus encore l’Allégorie de la Musique provenant également du Temple.
Notre tableau s’inscrit dans toute une série d’œuvres de Raoux très recherchées de son vivant et mettant en scène des jeunes femmes au miroir, coquettes ou contemplatives, représentées seules ou accompagnées d’une servante, en pied ou en buste. Issu de la peinture de genre du Nord, ce thème prit chez Raoux une consonnance nouvelle, fondée sur un subtil jeu de lumière, de reflets, d’ombres et de transparences. Avec son modelé tout en finesse et son fondu des couleurs, la toile que nous présentons en offre l’un des exemples les plus aboutis et sensibles.
A.Z.

Bibliographie générale (œuvre inédite)
Michel HILAIRE, Olivier ZEDER et al., Jean Raoux, 1677-1734, un peintre sous la Régence, cat. exp. Montpellier, Musée Fabre, Somogy, 2009.

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