LOUIS MICHEL VAN LOO (Toulon 1707 – Paris 1771)

ESQUISSE POUR LE PORTRAIT D’UN CHEVALIER DU SAINT-ESPRIT

33 x 26 cm

Huile sur toile

Provenance

• Vente 25 février 2021 comme Ecole française, XVIIIème siècle, Portrait de Maréchal de Saxe
• Vente, AGUTTES, Tableaux et Dessins, Paris Drouot 25 mars 2022, no. 50, attribué à Carle Van Loo, comme esquisse présumée du Duc de Penthièvre

Biblographie Générale

Autour des Van Loo : Peinture, commerce des tissus et espionnage en Europe (1250-1830), dir. Christine Rolland, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2012.
Les Van Loo, fils d’Abraham, cat. exp. Nice : Musée des Beaux-Arts, nov. 2000-fév. 2001.
• Christine Rolland, Louis Michel Van Loo (1707-1771) : Member of a Dynasty of Painters, thèse de doctorat, Santa Barbara, University of California, 1994.

Les Van Loo formèrent une grande dynastie de peintres cosmopolites qui parcoururent les cours européennes aux XVIIème, XVIIIème et au début du XIXème siècle. Au milieu du dix-huitième siècle, ils étaient au sommet de leur réussite. Jean-Baptiste (Aix-en-Provence 1684 – 1745) après une carrière dans le Midi, en Italie et à Paris, fit fortune en Angleterre où il forma également une génération de portraitistes. Connu pour ses qualités pédagogiques, Jean-Baptiste forma aussi ses propres enfants et son frère cadet Charles André (‘Carle’) Van Loo (Nice 1705-Paris 1765). Devenu orphelin de père à l’âge de 8 ans et élevé par Jean-Baptiste, Carle devint Chevalier de l’Ordre de saint Michel, Recteur puis Directeur de l’Académie et Premier Peintre de Louis XV. Carle est nommé gouverneur de l’école des élèves protégés du roi lors de sa création en 1749. Les lauréats du Prix de Rome devaient y vivre en famille avec celle du gouverneur pendant trois ans avant de partir en Italie. Le poste étant à vie, Carle y demeura jusqu’à sa mort.

Apprenant leurs techniques de père en fils et d’un pays à l’autre, les Van Loo gardèrent une palette souvent homogène et des techniques comparables pendant près de deux siècles. Ainsi leurs œuvres sont souvent confondues et il n’est pas surprenant que cette belle esquisse d’un Chevalier du St. Esprit fut attribuée diversement à Jean-Baptiste et à Carle Van Loo. Tous les trois, en complément de leur statut de peintres d’histoire, ont produit des portraits, mais Louis Michel Van Loo en a fait une spécialité. Très tôt, Jean-Baptiste l’employa pour faire les têtes dans ses grandes toiles parisiennes, telle que son Institution de l’Ordre du Saint-Esprit par Henri III, le 31 décembre 1578 (huile sur toile, Paris : Musée de la Légion d’Honneur, inv. 6251) présentée à Versailles en 1733.

Né à Nice, Louis Michel, fils de Jean-Baptiste et neveu/"frère" deux ans plus jeune que Carle, grandit sous la tutelle de son père, à Aix-en-Provence, en Savoie, à Rome et puis à Paris où il remporta le Prix de Rome en 1725 avec Moïse Enfant piétant la couronne du Pharoan (Galerie Aveline, Paris, 1993 ; localisation actuelle inconnue). En 1728, il partit à l’Académie de France à Rome avec son frère François Van Loo (Aix-en-Provence, 1708 – Turin, 1732), Carle (Prix de Rome, 1724) et François Boucher (Paris 1703-1770, Prix de Rome 1723) sous la protection du Duc d’Antin. De retour à Paris en 1730, il retourna à Turin en 1734 après sa réception à l’Académie en 1733 avec Apollon et Daphne (Paris : Ecole des Beaux Arts). Rentré de nouveau à Paris en 1735, Louis Michel fut nommé Premier Peintre du roi d’Espagne, Philippe V et partit pour Madrid où il devint aussi peintre de chambre du roi et président fondateur de l’Académie Royale de Peinture de San Fernando. (Voir Portrait de Philippe V, 1739, Madrid : Prado, inv. 2285, Famille de Philippe V, 1743, Prado, invo. 2283, Portrait de Don Philippe de Bourbon, Duc de Parme, 1739-1742,Madrid : Prado, inv. 2292).

Si dans ses œuvres de jeunesse et ses premières années en Espagne, Louis Michel aimait mettre en avant des bleus et rouges soutenus, il commença à changer sa palette à partir de 1748, date à laquelle il assume la présidence de l’Académie de San Fernando, comme en témoigne son morceau de réception, L’Education de l’Amour (Madrid : Académie Royale de San Fernando). Les bleus foncés, rouges et cramoisis flamboyants cèdent la place à des tons plus argentés, bleutés et subtils contre des ocres dorés. Dans ses portraits, le rouge ou le cramoisi sont de plus en plus relégués aux supports, aux fonds ou utilisés en ponctuation visuelle, surtout après 1753.

A la mort de Philippe V, Louis Michel poursuivit dans ses fonctions sous Ferdinand VI jusqu’en 1752 quand il rentra à Paris à cause du rafraichissement des relations diplomatiques franco-espagnoles. A Paris, il se concentra sur la production de portraits de cour et de personnalités. Son portrait en pied de Madame de Pompadour en 1759 (localisation inconnue) fait fureur au Salon et en 1760, son portrait de Louis XV en costume de sacre devint le modèle pour les portraits officiels des Bourbons jusqu’à 1830. En 1764, Louis Michel fit un petit séjour en Angleterre, mais les anglais ne s’intéressaient plus aux peintres étrangers et il rentra après quinze mois, juste avant le décès de Carle. Ainsi il fut nommé à son tour au poste de gouverneur de l’école des élèves protégés jusqu’à sa mort en 1771.

Ses œuvres des années 1760 sont marquées par une touche beaucoup plus libre avec un coloris encore plus subtil où l’on retrouve des soieries changeantes teintées de violets ou lilas luminescents en contraste avec leurs bleus argentés. Ainsi son Portrait de Diderot exposé au Salon de 1767 (Musée du Louvre RF 1958) est un de ses chefs d’œuvres les plus réussis et aujourd’hui l’image la plus associée avec ce philosophe.

L’esquisse préparatoire d’un Portrait d’un chevalier de Saint-Esprit comporte tout le panache de la touche libre de Louis Michel Van Loo avec cette belle cape rouge virevoltant autour de l’armure scintillante et le regard direct, vif et franc du modèle. Nous voyons cet homme, en pleine fleur de l’âge, debout devant une console où repose son bicorne et tient de la main droite une canne en guise de bâton de commandement. Il porte au dessus de son armure le cordon de l’Ordre du Saint Esprit et autour de son cou on discerne des morceaux de tissus bleu et rouge qui descendent en V au dessus du cordon. Ils s’agiraient des rubans qui vont soutenir la Toison d’Or, tout comme il y aura l’insigne du Saint Esprit qui sera suspendu à son cordon bleu contre sa hanche gauche. Compte tenu de la rareté d’esquisses qui sont connues de l’artiste, il est tentant de penser que le modèle a commandité ce portrait en préparation de sa promotion à ces Ordres et que la commande serait ainsi rapidement achevée une fois les précieux insignes en main. En tout les cas, le modèle devait être un membre de la haute noblesse.

La composition relève du type introduit par Jean-Baptiste Van Loo en 1727 dans son Portrait de Louis XV, dont l’original est perdu mais dont plusieurs répliques existent. Il fut repris par Carle dans ses portraits du même monarque entre 1748 et 1750, avec le roi face à une table sur sa droite, une main posée sur son bâton de commandement, l’autre sur son casque à plumes, la tête tournée vers le spectateur et la scène embellie de riches drapés, souvent devant un pilier, avec un vaste paysage ou de l’architecture en fond. Cette formule fut appliquée également aux officiers hauts placés et adaptée aux chefs d’états en costume civil.

Au cours des siècles, plusieurs portraits du même type ont été présumés être du Duc de Penthièvre et attribués à divers Van Loo ; ils sont apparus dans des collections publiques et privées, ainsi que dans les ventes. Il y a une certaine ressemblance entre certaines de ces images et notre esquisse, surtout avec une gravure par Le Beau (BNF). Si dans le drapé rouge, on peut déceler des touches comparables à son Diderot de 1767, les modèles entourés d’un tel drapé rouge flamboyant virevoltant autour du corps apparaissent plutôt vers 1730. Ils sont particulièrement présents dans les portraits produits lors du séjour en Espagne au milieu des années 1740 quand le Duc de Penthièvre avait plus ou moins vingt ans. Or le modèle dans cette esquisse est déjà un homme bien plus mature. Le Duc de Penthièvre a bien reçu le Toison d’Or en 1740 et a été promu à l’Ordre de Saint Esprit en 1742, années qui coïncident avec la datation probable de ce portrait, mais nous ignorons s’il est allé en Espagne à cette époque.

Sans plus de certitudes, il serait plus avisé de rechercher parmi les chevaliers de l’Ordre du Saint Esprit en Espagne dans les années 1740 pour identifier le modèle, car non seulement celui-ci est très jeune, mais on ne peut se fier uniquement à la ressemblance pour identifier les modèles des portraits de Louis Michel Van Loo. En effet, il avait crée son propre type de physionomie masculine dans ses portraits, dont beaucoup devenaient très ressemblants.

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