123 x 101,5 cm
Huile sur toile, circa 1705
Provenance
· Selon Dezallier d’Argenville, à Toulouse, dans un cabinet particulier en 1762.
· Probablement vente du Cabinet de M. D*, 29 décembre 1766, Paris, lot 58 : « Deux tableaux peints par Rivaltz le père, sur toile de 45 pouces de hauteur, sur 36 de large ; l’un représente Samson endormi sur les genoux de Dalila ; l’autre Judith qui tient la tête d’Holopherne, figures jusqu’aux genoux de grandeur naturelles ; ces deux tableaux ont du mérite ».
· France, collection particulière.
· Londres, collection particulière
Œuvres en rapport
Gravé à l’eau-forte par Barthélemy Rivalz (non localisé).
La jeunesse de l’artiste : Toulouse, Paris, Rome, Toulouse
Fils de Jean-Pierre Rivalz, architecte et peintre de l’hôtel de ville de Toulouse, Antoine Rivalz commença son apprentissage dans l’atelier paternel. Il passa ensuite dans l’atelier du dessinateur Raymond Lafage, déjà célèbre, avant de partir parfaire sa formation à Paris à l’Académie royale. À son retour à Toulouse, il aurait reçu ses premières commandes pour les hôtels particuliers, mais quitta bientôt sa ville natale pour Rome. Le jeune artiste y demeura plus de dix ans, fréquentant les cercles classicisants. En 1694, il reçut le second prix de l’Académie de Saint-Luc, derrière Balestra et Nardi. Ce concours marqua un tournant dans sa carrière romaine. Jouissant de l’amitié d’artistes tels que Carlo Maratta, Luigi Garzi ou Benedetto Luti, il fut dorénavant sollicité par la société romaine et française. Certaines commandes importantes lui venaient également de sa Toulouse natale.
Rappelé par son père, Rivalz quitta l’Italie en 1701. Dès 1703, les Capitouls le nommèrent peintre de l’hôtel de ville. Faiblement rémunérée, cette charge que l’artiste assuma jusqu’à sa mort en 1735, lui permit de nouer de fructueuses relations avec le patriciat toulousain et de bénéficier d’un quasi-monopole des commandes publiques, religieuses et privées à Toulouse. Rivalz imposa son style personnel et brillant, qui frappait par sa diversité. Influencé tantôt par l’art baroque romain, tantôt par l’atticisme parisien, au gré des œuvres et des sujets.
Les "Femmes illustres"
C’est très vraisemblablement pour un particulier toulousain que Rivalz réalisa, peu après son retour de Rome, la série des « femmes illustres ». Il s’agissait probablement de Jean-Mathias de Riquet, président du parlement de Toulouse, qui avait épousé, en 1702, à l’âge de soixante-quatre ans, Marie-Louise de Montaigne, de trente-six ans sa cadette. Riquet avait chargé Rivalz de réaliser deux portraits de la jeune mariée en Diane, l’un conservé au musée des Augustins de Toulouse et l’autre connu par la gravure. La mort de Riquet en 1714 obligea sa veuve à vendre le château de Lespinet qui aurait pu abriter la série. En effet, l’ensemble fut dispersé très rapidement : d’après les dédicaces des gravures, La Mort de Paetus et La Mort d’Arria se trouvaient ainsi vers 1720 chez Pierre de Lagorrée et Antoine Glassier. Trois toiles se retrouvèrent ensuite chez Louis de Fumel qui avait acquis le château de Lespinet.
Composée de tableaux de formats strictement identiques, la série mettait en scène des héroïnes accomplissant des actions exceptionnelles, des femmes préférant la mort au déshonneur ou encore des séductrices criminelles : Arria, Cléopâtre, Lucrèce, Judith, Péro (la charité romaine), Dalila etc. Dix au moins, ces tableaux pouvaient s’organiser par pendants, jouant sur l’opposition et la similitude de certains sujets, comme La mort de Cléopâtre et La mort de Lucrèce, Joseph et la femme de Putiphar et Suzanne et les Vieillards, Judith et Samson et Dalila. La plupart des compositions furent gravées par le cousin et élève de l’artiste, Barthélemy Rivalz. Toutes les « femmes illustres » étaient représentées grandeur nature et à mi-corps, sur le modèle de Simon Vouet, de Claude Vignon et des caravagesques de Toulouse, ce qui correspondait sans doute au goût du président Riquet formé dans la seconde moitié du XVIIe siècle.
De toute la série, trois originaux seulement seraient conservés : La Mort de Cléopâtre (Toulouse, musée des Augustins), La Mort d’Arria et Dalila coupant les cheveux de Samson (collections particulières). La gravure de Barthélemy Rivalz étant perdue, on a cru reconnaître Judith et Holopherne dans un tableau provenant d’une collection anglaise et dont les dimensions correspondaient à celles des autres toiles de la série. Or, tout porte à croire qu’il s’agit plutôt de l’œuvre d’un autre artiste, peut-être de Jean-Pierre Rivalz, formé à Toulouse dans l’atelier du peintre Ambroise, puis à Paris probablement chez Vouet et, enfin à Rome. La composition si dense que seul un œil de la servante demeure visible, la partie haute du tableau trop encombrée et trop claire, la figure statique de Judith au visage « masculin », le peu de recherche dans son vêtement paraissent en effet étrangers à l’art d’Antoine Rivalz.
Notre "Femme forte"
De dimensions identiques aux autres toiles de la série, notre Judith et Holopherne s’inscrit parfaitement dans l’ensemble des « femmes fortes », mais également dans la production d’Antoine Rivalz datant des premières années suivant son retour de Rome. Comme dans les autres tableaux, on retrouve ici les drapés mouvementés jaune ocre aux reflets irisés, la pose de l’héroïne reprenant la statuaire antique, la sculpturalité des volumes et notamment de la tête d’Holopherne ou l’extrême raffinement de certains détails, telle la couronne de Judith qui ressemble à celle portée par Cléopâtre ou bien la manche de la servante aux changeante bleu et vert-jaune qui trouve son écho dans le drapé frangé d’Arria.
La symétrie entre notre tableau et Samson et Dalila, son pendant éventuel, est parfaite, jusque dans la main de la servante qui répond, en contrepartie, à celle de Samson posée sur le genou de Dalila. Les profils des deux servantes de Dalila et de Judith sont par ailleurs étonnamment semblables, tandis que le négligé de la séductrice aux seins blancs contraste avec l’habit complexe et chaste de la veuve de Béthulie venant de décapiter un général ennemi.
L’Originalité de notre tableau
Toute l’originalité du talent de Rivalz se révèle dans notre peinture, que ce soit dans l’audacieuse juxtaposition des couleurs sur l’épaule de Judith, le traitement tout en ombres délicates de son visage résolu détourné du spectateur, la brillance sourde du motif sur le drapé vert de la tente ou l’ambiance assombrie héritée des caravagesques de Toulouse.
A.Z.
Bibliographie de l’œuvre
Pierre RIVALZ, Catalogue de la collection laissée par Antoine au Chevalier, s. l. n. d. (avant 1765).
Jean PENENT, Antoine Rivalz. 1667-1735. Le Romain de Toulouse, cat. exp., Paris, Somogy, 2004, p. 210, no 315 (comme perdu).
Valérie NEOUZE, Le peintre Antoine Rivalz (1667-1735), thèse de l’école des Chartes, 2000.
Antoine Joseph DEZALLIER D’ARGENVILLE, Abrégé de la vie des plus fameux peintres, t. IV, Paris, 1762, p. 359, 361.
Robert MESURET, L’Estampe toulousaine, les graveurs en taille-douce de 1600 à 1800, Toulouse, Musée Paul-Dupuy, 1951, cat. 144 (gravure).
Robert MESURET, Les Expositions de l’Académie Royale de Toulouse de 1751 à 1791, Toulouse, 1972, cat. 2899.