Atelier de François Boucher (Paris, 1703 - 1770)

La bohémienne

89 x 73 cm

Circa 1740
Huile sur toile

Provenance :
· France, collection particulière

Carrière brillante, récompensée par de nombreux titres dont celui de professeur, directeur de l’Académie royale et premier peintre du roi, François Boucher reçut tous les honneurs qu’un peintre pouvait espérer. Jusque dans les années 1760, il répond à quelques centaines de commandes de ses prestigieux mécènes dont la marquise de Pompadour et le duc de Chevreuse, ainsi qu’aux manufactures royales de Beauvais et des Gobelins, et enseigne avec enthousiasme sa manière à ses élèves de l’Académie.

Notre tableau se situe à l’apogée de cette intense activité. Un an seulement après son entrée à l’Académie Royale en 1734, Boucher impose un renouveau dans la peinture d’histoire, hérité de son apprentissage chez François Lemoyne (Paris, 1688 - 1733). Privilégiant de séduire l’œil avant l’esprit, il inaugure un nouveau canon de beauté présentant le corps de la femme du XVIIIe siècle, charmante et d’une sensualité sans précédent.

Pilier de la manufacture de Beauvais qu’il codirige et commence à fournir dès 1735, Boucher propose comme modèle une Tenture des fêtes de village à l’italienne, considérée comme l’une des œuvres les plus grandioses du XVIIIe siècle français. La suite comprend huit œuvres dont notre tableau, vraisemblablement créé sous sa direction, qui semble être un modèle pour La bohémienne. Il s’agirait du travail de Jacques Nicolas Julliard (Paris, 1715 - 1790), l’un des élèves les plus assidus de l’atelier de François Boucher, d’après une œuvre perdue du maître. « L’hypothèse Julliard est intéressante, en raison de la clarté des ciels, de l’exécution élégante et précise des arbres et feuillages, du choix de couleurs très sonores ; cette reprise se situerait alors parmi ses premières productions, sur lesquelles on sait très peu de chose. »

La vie de cet artiste reste encore obscure mais nous savons que « Julliard est entré dans l’atelier en 1740 et y reste presque dix ans. Peintre de la manufacture d’Aubusson et Felletin pendant plus de trente ans entre 1755 et sa mort en 1790, Julliard doit à Boucher son orientation vers le paysage, car le maître lui aurait signalé que l’Académie manquait de peintres de paysages et l’aurait encouragé dans cette voie alors qu’il se trouvait à Rome.  » Nous connaissons un carton de tapisserie de la main de François Boucher lui-même, présentant le même sujet et un groupe central exactement dans le même sens que notre tableau. Notre tableau semble donc avoir été exécuté d’après une œuvre de François Boucher et serait, de ce fait, le seul témoignage restant d’une œuvre perdue ayant servi de modèle à la manufacture de Beauvais. En travaillant en basse-lice, l’œuvre de la manufacture présente logiquement la scène principale dans le sens inverse à notre tableau.
Pins-parasols, colonne brisée et fragment de sculpture classique, l’œuvre illustre le mélange exquis d’inspiration entre le paysage champêtre des environs de Beauvais et les influences italiennes issues du voyage à Rome que Boucher transmettra avec rigueur à ses élèves. À travers la douce vision d’une jeune bohémienne prédisant l’avenir à une bergère, l’artiste convoque une campagne italienne idéalisée où règne le plaisir voluptueux. Pour en suggérer la douceur et l’harmonie, une lumière homogène envahit l’ensemble de la toile et plonge instantanément les corps détendus dans une atmosphère paisible.

Inspiré par les paysages d’Abraham Bloemaert (Utrecht, 1564 - 1651), dont il grave quelques exemples, Boucher transmet à son atelier l’intérêt pour le rendu des détails, notamment dans les éléments rayonnant autour du motif central, qui tendent à faire disparaître l’iconographie. La facture est ample et déterminée par une domination de la couleur sur le dessin : en présentant ces chairs roses et lisses caractéristiques du maître, l’artiste propose plus largement une manière de représenter le plaisir à travers la peinture.

L’immense succès de l’œuvre de François Boucher lui vaudra de nombreux imitateurs au sein des grandes cours d’Europe. Peinte, gravée et tissée treize fois par la manufacture royale de Beauvais, La bohémienne est un sujet majeur qui entraîne, au milieu du XVIIIe siècle, un goût prononcé pour les scènes pastorales sentimentales, recherchées avidement par les plus érudits collectionneurs anglais du XIXe siècle.

M.O.

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