66 x 54 cm
Huile sur sa toile d’origine
Signée et datée Mongin 1818 en bas à droite sur la pierre
Dimensions : 66 x 54 cm
Provenance
· France, collection particulière.
Exposition
1819, Paris, Salon, no 846 (comme appartenant à l’artiste).
C’est en 1762 que parut la traduction en français des Idylles de Salomon Gessner, dont « Myrtil et Chloé ». Cette très courte pièce met en scène deux jeunes enfants bergers dont le père est gravement malade. Persuadés que leur innocence pourra leur valoir la bienveillance du dieu Pan, ils se décident à lui immoler leurs oiseaux, ce qu’ils ont le plus cher au monde. Au moment même où les enfants se saisissent de leurs volatiles tendrement aimés, les dieux attendris guérissent leur père rendant le sacrifice inutile.
Quelques trente ans plus tard, Jean Pierre Claris de Florian, poète et dramaturge, se saisit de l’histoire pour la transformer en pastorale d’un acte, « mais, comme il n’est jamais permis de copier, on y a fait plusieurs changements, dont le plus considérable est de n’avoir pas rendu Myrtil et Chloé frère et sœur ». Chez Florian, les deux adolescents devenus amants se résolvent à sacrifier au dieu Amour les cadeaux reçus de l’autre pour obtenir la rémission du père de Myrtil : Chloé, des jeunes tourterelles offertes par son amoureux, et lui, une houlette confectionnée par la jeune fille. Dans le Théâtre de M. de Florian, le texte de la pièce était introduit par une gravure de François-Marie Queverdo intitulée « En sacrifiant tout à son devoir on arrive toujours au bonheur » et représentant la fin heureuse de la pièce : le prêtre remettant aux amants leurs offrandes intactes.
La popularité des pastorales de Florian ne souffrit guère des changements de régime et son Théâtre fut réimprimé tous les deux ans jusqu’aux années 1830. Autant dire que le tendre attachement de Myrtil à Chloé avait presque éclipsé l’amour antique porté à une autre Chloé par le berger Daphnis. Pierre Antoine Mongin ne jugea donc pas nécessaire de préciser la source de son inspiration en donnant la description suivante du tableau qu’il exposait au Salon de 1819 : « Chloé, sortant du bain, est venue se reposer au pied d’un platane ; charmée de la solitude et de la fraîcheur du lieu, elle n’a pas songé à reprendre ses vêtemens [sic] ; elle est tombée dans une profonde rêverie : toutes ses pensées, tous ses souvenirs sont pour Myrtil. » À moins que cette explication n’ait été demandée par le jury qui trouva l’intitulé initial de la toile, La Rêverie, un peu trop vague. C’est en effet ce seul titre qui figure dans le Registre des ouvrages présentés au Salon de 1819 : « 458. 1 tableau rep[résent]ant La Rêverie. » Mais au Salon, l’œuvre devient La Rêverie (Idylle) et s’accompagne du petit texte du Livret décrivant ce qui se passe.
Or, chez Florian, il n’y a aucune scène de bain de Chloé ni de rêverie. Et dans notre toile, rien ne renvoie explicitement à la pièce. La jeune femme, est-elle vraiment une bergère ? Avec ses cheveux blonds coiffés à la grecque, on la prendrait presque pour une contemporaine de l’artiste. En réalité, cette œuvre n’a pas de sujet et n’en a pas réellement besoin. Au seuil du romantisme, elle ne narre rien sinon un sentiment de douce mélancolie, de repli et de recueillement, soutenu par une écriture suave et une palette chaude. Le modèle dénudé ne fait qu’un avec la nature : les iris aquatiques, les feuilles de chêne et de platane sont décrits aussi amoureusement que les plis des drapés ou le jeu d’ombres et de lumières sur la peau rosée de la jeune femme. L’artiste compose son œuvre comme une musique, avec les accords orangés et indigo des tissus, les trémolos des vaguelettes d’eau et les basses des sous-bois sombres.
On retrouve ici toute la richesse du XVIIIe siècle français, assimilée par Mongin lors de sa formation à l’Académie royale auprès de Noël Hallé, Gabriel-François Doyen et François-André Vincent, mais également le naturalisme et la franchise propres à l’artiste qui le placent résolument à contre-courant du mouvement néo-classique. Fin observateur, excellent gouachiste et aquarelliste, il travaillait beaucoup d’après nature, recherchant notamment ses motifs au jardin de Bagatelle. Mongin exposait au Salon depuis 1791 des tableaux très divers, vues de ville et de campagne, scènes de bataille et de vie militaire, de genre, sujets tirées de l’histoire nationale et de la littérature. Son corpus connu se compose essentiellement de gouaches et de lithographies, technique qu’il fut parmi les premiers à employer en France, ainsi que de grands papiers peints à décor de paysages panoramiques réalisés pour la manufacture de Jean Zuber. On ne recense que quelques peintures, dont Le Curieux, œuvre savoureuse pleine d’humour qui célèbre d’une autre manière que notre toile l’union de l’homme et de la nature.
A.Z.
Bibliographie générale (œuvre inédite) :
Robert Rosenblum, French Painting. 1774-1830. The Age of Revolution, cat. exp. Paris, Detroit, New York, 1975, p. 553.