100 x 72 cm
Circa 1655.
Huile sur toile
Provenance
· Collection Guy et Christiane de Aldecoa, Paris.
O mon Dieu, vous m’avez blessé d’amour
Et la blessure est encore vibrante
O mon Dieu, vous m’avez blessé d’amour
Paul Verlaine, Sagesse, II, 1.
Né et sans doute formé en Lorraine française, c’est probablement pour fuir les ravages et les incertitudes de la Guerre de Trente ans que Charles Poerson s’installa à Paris. En 1636, on le découvre déjà parfaitement intégré dans les milieux artistiques de la capitale : il assiste cette année comme témoin au mariage de Michel Corneille qu’il avait rencontré chez Simon Vouet qui les employait tous les deux. Environ deux ans plus tard, Poerson s’émancipa de son maître pour fonder son propre atelier. Comblé de commandes, parmi lesquelles celle, la plus prestigieuse, d’un May pour la corporation des orfèvres en 1642, il fut reçu maître dans la corporation parisienne et devint académicien dès 1651.
Ouvert aux expériences de ses confrères, sensible aux inflexions stylistiques qui avaient amené l’art français de la première moitié du XVIIe siècle du maniérisme tardif de George Lallemant au classicisme de Charles Le Brun en passant par le « grand genre » de Vouet et l’atticisme d’Eustache Le Sueur, Poerson ne se départit jamais de sa volubilité naturelle, de ses compositions savantes et resserrées, ni de son attirance pour les couleurs éclatantes et les accents lumineux prononcés.
Ceci est particulièrement vrai dans notre œuvre dont le thème, rare, se comprend à la lecture des Confessions de saint Augustin, récit de sa conversion qui s’exprime en une formule à la fois imagée et simple : « Tu avais percé mon cœur des flèches de ton amour » (Confessions, IX, 3).
Ce cœur embrasé d’amour et transpercé d’une flèche est un attribut récurrent d’Augustin d’Hippone, telle une illustration de ses écrits, mais également un symbole de la charité et du double amour envers Dieu et le prochain. On le retrouve surmontant le cartouche du frontispice de la Vie illustrée de saint Augustin, éditée à Paris en 1624 par Antoine Bonenfant sous le titre Iconographia magni Patris Aurelii Augistini. L’éditeur parisien reprit la série de vingt-huit planches en taille douce gravées par Schelte Adamsz. Bolswert à la demande des Ermites de Malines et de leur prieur, Georges Maigret, qui composa des légendes explicatives. La planche dix-huit offre de telles ressemblances avec notre tableau qu’il paraît évident que Poerson s’en inspira. Toutefois, l’artiste transforme profondément l’image de Bolswert qui cesse de n’être qu’une illustration hagiographique, pour devenir une représentation quasi iconique du Père de l’Église tout en gagnant une sensibilité propre à Poerson.
Bolswert représenta le saint dans son étude, seul, détourné de ses travaux par la vision de la Vierge à l’Enfant : celui-ci transperce d’une flèche le cœur qu’Augusin lui offre humblement. Le peintre français conserva cette gestuelle réciproque, mais situa la scène dans une église, devant un autel et disposa les nuées de telle manière qu’elles tendent à englober Augustin agenouillé. Vêtu du froc noir des moines retenu par la ceinture de cuir de l’Ordre des Ermites, il tient dans sa main gauche la crosse épiscopale, tandis que sa mitre est posée à terre. À côté de la mitre sont disposés deux livres, un fermé et un autre ouvert, symbolisant la science, la vérité et l’œuvre du saint Augustin. L’ensemble de ses attributs traditionnels est ainsi réuni dans un seul tableau, formant une iconographie inédite, démonstrative et néanmoins très simple et conforme au goût prononcé de l’époque pour la « vision ». La suffisance de cette représentation confirme qu’il s’agit d’une œuvre isolée et qu’elle ne faisait partie d’aucun cycle, contrairement à la gravure de Bolswert et des tableaux et fresques que l’Iconographia avait inspirés.
Poerson se révèle ici un coloriste remarquable et inspiré. La composition est bâtie sur le contraste entre la partie gauche, céleste, celle de la Vierge et l’Enfant, avec ses teintes pures de blanc, bleu roi, jaune d’or et rouge cramoisi, et de la partie droite, celle de Saint Augustin, dominée par le noir profond de l’habit monacal et les bruns. Par conséquent, la mitre, la crosse et le livre, tous trois d’un blanc éclatant, appartiennent également au divin.
Au XVIIe siècle, l’imaginaire d’Augustin, qui n’est pas un saint populaire, connaît en effet un développement sans précédent, porté par l’essor et la prospérité des ordres religieux vivant selon sa règle et les confréries qui s’y rattachaient. À Paris, il n’y avait pas moins de trois couvents des augustins : les Grands Augustins établis depuis le règne de saint Louis et où avaient lieu toutes les cérémonies de l’Ordre du Saint-Esprit, les Petits Augustins ou Augustins Réformés protégés par Anne d’Autriche qui leur fit bâtir un monastère, et les Augustins Déchaussés qui eurent la faveur particulière de Louis XIII et pour lesquels on éleva l’église Notre-Dame-des-Victoires bénie en 1666.
Chacun de ces lieux pourrait avoir abrité notre œuvre, tout comme une église possédant une chapelle dédiée à Saint Augustin, puisque le format de la toile est insuffisant pour un retable . Mais il aurait pu également s’agir d’un tableau de dévotion, marquant l’attachement particulier de son commanditaire à l’évêque d’Hippone. Notre toile est en effet particulièrement proche de la petite Nativité conservée au Louvre où on découvre une figure de la Vierge très semblable, les mêmes anges graciles et les mêmes nuages denses. Comme dans notre œuvre, le faire précieux et épuré témoigne de l’influence passagère de Le Sueur avec lequel Poerson collabora aux appartements d’Anne d’Autriche au Louvre vers 1653-1655, ce qui permet de dater les deux tableaux de cette même époque.
A.Z.
Bibliographie de l’œuvre
Barbara BREJON DE LAVERGNEE, Nicole de REYNIES et Nicolas SAINTE FARE GARNOT, Charles Poerson, Paris, Arthéna, 1997, cat. 142.