École de Prague du début du XVIIe siècle

Le Triomphe de Joseph en Égypte

66 x 80,5 cm

Circa 1600.
Huile sur cuivre.
Annoté sur le phylactère : SALVATOREM [MUNDI].
66 x 80,5 cm

Provenance
· États-Unis, collection particulière

« Pharaon eut un songe. » Il rêva de sept vaches belles et grasses qui se faisaient manger par sept vaches laides et très maigres. Et alors que personne ne pouvait lui expliquer le sens de ce songe, le grand échanson se souvint d’un jeune Hébreu qu’il rencontra en prison. Le pharaon fit venir Joseph qui lui dit que les vaches grasses étaient des années d’abondance et les vaches maigres, des années de famine. Il lui conseilla de prélever un cinquième des récoltes afin de disposer d’une réserve lorsque les vivres allaient manquer. Alors, Pharaon donna à Joseph l’autorité sur son royaume, en disant : « Vois ! Je t’établis sur tout le pays d’Égypte.” Il ôta l’anneau de son doigt et le passa au doigt de Joseph ; il le revêtit d’habits de lin fin et lui mit autour du cou le collier d’or. Il le fit monter sur son deuxième char et on criait devant lui : “À genoux !” Et ainsi il l’établit sur tout le pays d’Égypte » (Genèse 41, 41-43).

C’est dans la Vulgate Clémentine qu’il faut chercher la suite de cette conversation entre le pharaon et Joseph : « Vertitque nomen ejus, et vocavit eum, lingua ægyptiaca, Salvatorem mundi ». Soit : « Et Pharaon lui changea aussi son nom, et l’appela en langue égyptienne le Sauveur du monde » (Genèse 41, 45).

Inscrit sur le phylactère, « salvatorem » permet d’identifier la scène peinte dans notre grand cuivre comme le Triomphe de Joseph en Égypte, qui, dans la tradition chrétienne, préfigure l’entrée du Christ à Jérusalem. Coiffé d’un turban blanc à plumes, la chaîne d’or autour du cou et le bâton de commandement dans la main droite, Joseph est assis sur un char d’or abondamment sculpté tiré par quatre chevaux blancs somptueusement harnachés. Le pharaon chevauche à ses côtés, reconnaissable à sa cape d’hermine et portant lui aussi un turban blanc. Le char est précédé par une procession formée de musiciens à pied et à cheval, hérauts, cavaliers, soldats, ainsi que les porteurs d’enseignes et de drapeaux dont l’un est rouge et frappé d’une vache d’or. Certains brandissent des épis de blé ou acclament Joseph. Tout autour, les Égyptiens se prosternent, dansent au son de l’orchestre perché sur une estrade ou simplement s’arrêtent, curieux. Le défilé serpente dans les rues flanquées d’une architecture féérique jusqu’à traverser un arc de triomphe de marbre vert qui s’inspire de l’Arc de Titus à Rome, mais, avec ses dorures et un étrange frontispice à volutes, fait davantage penser aux constructions éphémères élevées dans les villes pour les entrées solennelles des rois et des princes.
La manière de cette œuvre, ni tout à fait une scène religieuse, ni tout à fait un paysage, s’avère tout aussi éclectique et hétérogène que cette architecture imaginaire, réunissant divers courants du maniérisme européen. Le cadre ovale en stuc feint provient ainsi du répertoire de l’école de Fontainebleau, les édifices antiquisants fondus et évanescents de l’arrière plan font penser aux paysages de Niccolò dell’Abate tandis que les bâtiments plus proches avec leurs fenêtres, pilastres et coupoles, mais également les grandes colonnes renvoient à Paul Vredeman de Vries et François de Nomé. Et si l’iconographie de la procession se base sur celle des triomphes, très prisée depuis la Renaissance pour célébrer les vertus, l’amour ou l’Église, elle en offre un traitement original et inédit, faisant se déployer le défilé non pas en frise, mais vers le fond et le centre de la composition marqué par l’arc polychrome. Moins élancés que ceux de Bartholomeus Spranger, les personnages n’en adoptent pas moins le contrapposto prononcé caractéristique et les attitudes dansantes. Quant à leur gestuelle parlante, leur petite taille et leur disposition étagée, on les retrouve également dans chez Gillis van Valckenborch qui avait traité des sujets très semblables : L’Entrée de la reine de Saba à Jérusalem (Cologne, Wallraf-Richartz Museum) ou Le Retour de Jephté (collection particulière).

Le tout est modelé d’un pinceau libre et inégal, tantôt chargé et approximatif, notamment dans les architectures, tantôt si délicat que les formes semblent pris dans une brume. Enfin, le coloris raffiné et clair, où dominent le pourpre, l’ocre, le gris bleuté et le vert malachite, participe au charme exquis de ce tableau sans doute destiné à un cabinet. L’encadrement de stuc feint laisse croire qu’il devait intégrer un décor, tout en étant placé suffisamment bas pour pouvoir admirer l’extrême précision et la grâce des personnages miniatures.

Nourrie d’influences très variées dont certaines très vraisemblablement transmises par la gravure, la manière de notre cuivre, très personnelle, est celle d’un artiste confirmé, mais qui reste à identifier. Cependant, les réminiscences de l’école de Fontainebleau, de la peinture des Flandres du Sud, de l’Italie et des régions allemandes, font en rechercher l’auteur parmi les maîtres œuvrant dans l’Empire au tournant du XVIe et du XVIIe siècle et notamment à la cour de Rodolphe II.
A.Z.

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