93 x 73 cm
1903.
Huile sur sa toile d’origine.
Signé et daté en bas à droite.
Au revers, deux étiquettes d’expositions.
Provenance
· France, collection particulière
Expositions
1961, Paris, Steinlen. Rétrospective, Maison de la Pensée française, 1960-1961, no 16 (cat. par M. J. Lethève).
1970, Charleroi, Exposition Steinlen, Palais des Beaux-Arts, no 20.
Théophile Alexandre Steinlen est connu comme peintre, caricaturiste, affichiste, mais aussi sculpteur et graveur. Né en Suisse, naturalisé français en 1901, il fit partie des artistes montmartrois au tournant du XXe siècle. Il fréquenta notamment Alphonse Willette, Henri de Toulouse-Lautrec et Alphonse Allais. C’est l’une des figures importantes de la culture visuelle européenne, comme en témoigne la postérité de son affiche du Chat Noir en tournée.
Proche des anarchistes et des socialistes, dans la mouvance d’Émile Zola et d’Anatole France, il écrivit pour Le Chambard socialiste, L’Assiette au Beurre et Les Temps Nouveaux. En 1905, c’est à lui que fut confié le soin de prononcer le discours d’adhésion à la Confédération Générale du Travail du syndicat des artistes peintres et dessinateurs.
Notre tableau appartient à la série d’œuvres inspirées par l’engagement de l’artiste auprès des anarchistes et des socialistes. Suivant l’idée saint-simonienne de l’art au service des humbles, Steinlen réalisa de nombreux dessins et tableaux les représentant les gens simples, comme ici, les ouvriers sortant de leur usine après une journée de travail.
Les personnages forment une masse compacte qui n’est pas sans faire penser à une manifestation. La diagonale d’un haut mur organise l’espace séparant la foule des ouvriers des immeubles sans âme et des usines. Au premier plan, on retrouve un homme conduisant ses puissants chevaux qui tirent une carriole, deux hommes de générations différentes portant pelles et pioches, un ouvrier fantomatique vêtu de blanc et une femme aux traits tirés qui porte un enfant sur le dos et en tient un second par la main. À l’arrière, les cohortes ouvrières, longues et compactes, se perdent en taches de couleurs sans contours. Sur l’avant-scène au contraire vide, un chien trottine, mi-chien errant mi-domestique, que l’on retrouve parmi la foule des travailleurs dans La rentrée des ouvrières de 1905.
Habitant Montmartre à partir de 1883, l’artiste put suivre de près la vie des quartiers ouvriers, notamment autour du chantier de la basilique du Sacré-Cœur. Comme la plupart des peintres qui s’intéressent alors au monde ouvrier, il retint surtout les métiers d’extérieur, visibles de la rue, comme les ouvriers du bâtiment ou les terrassiers, et non les travailleurs de la grande industrie. Comme dans notre tableau, Steinlen ne cherche pas à individualiser les figures, mais à donner l’image d’un groupe homogène. De même, ce n’est pas la gestuelle du travail et de l’action qui le passionne, mais les moments de pose ou de sortie, lorsque le dur labeur et la vie ouvrière se lisent au travers de l’habillement – les larges pantalons, les vestes pendantes, les casquettes et les ceintures larges des terrassiers – et les visages fermés aux regards intériorisés.
La palette grise et brune – rouille et brique – rend bien l’atmosphère industrielle, avec les scories rejetées par l’usine polluant l’air. À l’arrière-plan, le coucher de soleil embrase les cheminées de l’usine et les immeubles. Cette organisation lumineuse revient dans d’autres tableaux de Steinlen. Ainsi, dans La rentrée des ouvrières où le soleil perce les fumées pour éclairer le pavé, ou encore la composition en clair-obscur de la toile intitulée Les ouvriers. La matière étalée et rugueuse rend la puissance des muscles et l’épaisseur des tissus défraîchis, sculpte les visages burinés et les mains, et s’étire en nuages rougeoyants.
M.L.M. & A.Z.
Bibliographie générale
Jacques LETHEVE, Théophile-Alexandre Steinlen, 1859-1923, cat. exp. Paris, Bibliothèque nationale, 1953.
Philippe KAENEL, Catherine LEPDOR, Steinlen, L’œil de la rue, Milan, 2008.