Huile sur toile. Signé et daté en bas à droite : « G. St Evre 1822 ».
« Ce sujet, tiré de la Tempête de Shakespear (sic), a l’agrément de la nouveauté ; et, quoique ce soit là son moindre mérite, on doit savoir gré à M. Saint-Evre de l’avoir cherché hors du répertoire banal où les artistes ont coutume de puiser. » Ainsi commence la notice consacrée à notre tableau par Charles Paul Landon, peintre et conservateur du Louvre, qui consacra un ouvrage à quelques unes des plus belles œuvres présentées au Salon de 1822. Et il est vrai que le thème choisi par l’artiste pour sa première participation était original et suscitait la curiosité des visiteurs.
Prospero, duc de Milan déchu par son propre frère, et sa fille Miranda trouvèrent refuge sur une île habitée par des créatures magiques. Au bout de quelques années, devenu un puissant magicien, Prospero fait échouer près de son île le bateau d’Alonso, roi de Naples, qui traversait la mer avec son fils Ferdinand, son frère Sébastien et Antonio, le frère félon de Prospero. Séparé des siens dans la tempête, Ferdinand rencontre Miranda et en tombe éperdument amoureux. À la fin de la pièce, Prospero guide Alonso vers sa grotte où ils découvrent les deux jeunes gens jouer aux échecs, symbole d’harmonie. Miranda accuse, en plaisantant, Ferdinand de tricher pour ensuite se soumettre à son futur époux, lui avouant que combien même il rusait, elle aurait trouvé son jeu honnête. Alonso, persuadé que son fils unique était mort, est heureux de le retrouver et bénit le mariage.
C’est ce moment de découverte par Prospero et Alonso des deux amoureux que Gillot Saint-Evre, ancien officier d’artillerie de l’Empire, peintre presque autodidacte, ami et admirateur de Géricault, avait choisi pour sa première participation au Salon. Il s’agissait d’un pendant à une autre toile montrant Prospero et sa petite fille sur la frêle embarcation accordée par le cruel Antonio (Prospero, duc de Milan, exposé avec son enfant aux fureurs de la mer, no 1160, localisation actuelle inconnue). Une première tempête en quelque sorte, bien que survenue avant le premier acte, ou encore le début de toute l’histoire que Prospero lui-même narre au roi de Naples à l’ouverture du cinquième acte et juste avant de l’inviter dans sa grotte. Cependant c’est bien le tableau de Miranda et Ferdinand qui avait attiré tous les regards.
Le choix était audacieux car il nécessitait d’élaborer une mise en scène complexe à plusieurs figures et de montrer à la fois l’extérieur paysagé et l’intérieur de la grotte qui est aussi habitation modeste de Prospero, les reflets froids dans le ciel nocturne et la lueur rouge et chancelante d’une chandelle cachée par la toque de Ferdinand, le profil à l’antique de la jeune fille et le visage ridé et sévère du magicien, les costumes du XVIe siècle, et, surtout, les émotions contradictoires des protagonistes : la malice de Miranda, l’émerveillement de Ferdinand, la stupéfaction d’Alonso, la bienveillance de Prospero, l’incrédulité de Sébastien. On félicita unanimement la réussite de Saint-Evre, saluant tout particulièrement la justesse des expressions, la grâce de la ligne, l’énergie, la finesse du coloris, l’équilibre entre le classicisme de David et le romantisme de Delacroix. Une grande carrière lui semblait promise, et si Thiers reprocha à Saint-Evre cet éclairage double et artificiel, il déclara n’attendre que l’artiste « se corrige de ce goût pernicieux » et « montre ses couleurs » pour que le succès soit complet.
Encouragé par les critiques, Saint-Evre présenta en 1823, hors Salon, un Don Quichotte, qui ne recueillit que des opinions défavorables et fut même traité de « grotesquement flamand ». Dès lors, excellent lithographe, il préféra réserver sa passion de la littérature pour l’illustration, et privilégier pour ses tableaux de chevalet des sujets plus prisés par les collectionneurs : des anecdotes historiques mettant en scène les grands personnages de l’histoire de France, principalement du Moyen Âge et de la Renaissance. Au Salon de 1824, il obtint la médaille de seconde classe pour Marie Stuart échappée du château de Lochleven, et à celui de 1827 la médaille de première classe récompensa sa toile Charles IX et Marie Touchet (localisation actuelle inconnue). En 1833, sa Jeanne d’Arc fut acquise par l’État et lui valut la Légion d’honneur (ill. 1). Pour la galerie d’Apollon, Saint-Evre peignit en 1836 Marie Stuart au Louvre (déposée depuis 1951 à Versailles), puis un grand nombre de décorations et portraits historiques pour les galeries de Versailles, caractérisés par la précision de la facture, mais sans audace ni personnalité. Son souci constant de reconstitution scrupuleuse des costumes et du mobilier l’amenait par ailleurs à des citations directes des œuvres anciennes. Particulièrement affecté par la critique du courant troubadour, il cessa de participer aux salons après 1844.
Exposition
Salon de 1822, no 1161.