61 x 50 cm
1906.
Huile sur toile préparée.
Sur le châssis, annotation à l’encre : "Albert Besnard 1906 / Provient de la vente de son atelier 1942"
Provenance
• Collection de l’artiste, hôtel particulier d’Albert Besnard, Paris, jusqu’en 1942.
• France, collection particulière.
La célébrité d’Albert Besnard de son vivant n’a d’égal que le relatif oubli que son nom devait connaitre peu après la mort de l’artiste. Il fallut attendre 2008 et l’exposition au musée Eugène Boudin de Honfleur initiée par Chantal Beauvalot et l’association « Le Temps d’Albert Besnard » pour que le public redécouvre ce contemporain de Cézanne et de Monet et l’originalité de sa manière. La surprise fut totale rendant d’autant plus nécessaire la tenue d’une grande rétrospective parisienne. Celle-ci aura lieu en 2016 au Petit Palais dont la coupole d’entrée est ornée de quatre grands panneaux évoquant la complexité de la création artistique, La Pensée, La Matière, La Plastique et La Mystique, peints par Besnard entre 1906 et 1910.
Prix de Rome, médaille d’or à l’Exposition universelle de 1900, directeur de l’Académie de France à Rome et de l’École des Beaux-Arts, membre de l’Académie française et de l’Académie des Beaux-Arts, grand-croix de la Légion d’honneur, funérailles nationales : Albert Besnard obtint tous les honneurs que la IIIe République avait à offrir à un artiste. Mais malgré ses réussites officielles, ses commandes d’État, ses participations encensées aux Salons, le peintre resta, au milieu des mouvements artistiques de son temps, un indépendant. Par l’enseignement de Jean Bremond, élève d’Ingres, il se rattache, certes, à la tradition d’un art construit et signifiant, mais son sens de la couleur et sa vitalité le rapprochent des postimpressionnistes. Éclectique et synthétique, il puise ses inspirations chez les maîtres anciens, tout en conservant une personnalité forte et sincère, immédiatement identifiable. Et si les sujets de ses grands décors trouvent écho dans le mouvement symboliste, son œuvre de chevalet, ses pastels et ses eaux-fortes demeurent essentiellement réalistes, empreints de cette poésie et de cette inquiétude propres au tournant du XXe siècle.
La femme est au cœur de l’œuvre d’Albert Besnard. Rayonnante de la beauté si particulière de l’époque 1900 avec sa gorge généreuse largement décolletée, sa peau immaculée et ses longs cheveux serrés dans un chignon volumineux, elle incarne pour le peintre la vie, l’amour, mais aussi la couleur et la lumière. Les chevelures voluptueuses teintées au henné (le roux est alors à la mode), les bouches carmines, les yeux noirs et les peaux ivoirines aux mille reflets irisés et aux ombres changeantes : chaque représentation féminine de Besnard est prétexte à une recherche luministe, une ode à la couleur embrasant les chairs rubéniennes de ses modèles surtout lorsqu’elles sont débarrassées de l’entrave des vêtements et de l’étau du corset.
Car l’artiste se plaît à peindre des nus, que ce soit dans les compositions rappelant les thèmes mythologiques de l’ancienne école française comme La Nymphe endormie du musée de Nantes (huile sur toile, 117 x 98,5 cm, inv. 923.1.1.P) ou dans les études enlevées qui n’ont d’autre but que la célébration du corps féminin à l’instar de la Femme blonde de profil conservée à ARoS au Danemark (huile sur toile, 61,5 x 50,4 cm). Besnard modèle les formes de ces anonymes avec une vigoureuse sensualité réaliste, sans idéalisation abstraite ni description rigoureuse. Aux gestuelles affectées et ondulations lascives des artistes de l’art nouveau, il préfère les poses simples et banales, souvent de dos, comme si, inconscientes de leur beauté, ces femmes cherchaient à préserver leur intimité du regard du spectateur.
Telle est notre peinture, portrait plein de grâce d’une jeune femme inconnue campée très simplement de profil sous un éclairage haut, le préféré du peintre. Les cheveux couleur de feu du modèle sont relevés à la mode du début du siècle, mais son vêtement se résume à une draperie ocre glissant sur ses épaules d’une blancheur laiteuse. C’est une fantaisie qui permet à l’artiste de composer toute une poésie de tons d’automne. S’appuyant sur un dessin solide qui cerne les contours du nez pointu et la ligne suave de la nuque et des épaules, le pinceau de Besnard parcourt la toile avec une rapidité et justesse. Les touches de peinture fluide s’étalent, se superposent, s’entrecroisent et zigzaguent façonnant les volumes avec exactitude et insistance distinctive des œuvres de Besnard datant du début du XXe siècle. Les tonalités orangées, brunes, jaunes et garances s’associent dans une partition quasi musicale, avec des coups de couleur pure comme autant d’accents, et des passages entre les parties chargées de peinture et ceux où transparaît la préparation crème comme autant de nuances.
Le tout donne entièrement raison à Camille Mauclair qui avait consacré tout un chapitre de sa monographie parue en 1914 à cette « série considérable de nus éclatants, tendres et sensuels ». Elle écrit :
« Ses nus sont pleins de vie et de vérité. Mais ce qui les magnifie et les élève au lyrisme, c’est la lumière qui se joue sur leurs volumes. Il en fait, par cette seule magie, des bouquets de tonalités qui illuminent un intérieur. Les nus de M. Besnard sont des poèmes chromatiques à la gloire féminine . »
Nous remercions Mme Chantal Beauvalot d’avoir confirmé l’attribution de notre œuvre qui sera incluse dans le catalogue raisonné en préparation sur l’artiste.
Bibliographie
Chantal Beauvalot et al., Albert Besnard (1849-1934), catalogue d’exposition Honfleur, musée Eugène Boudin, 2008.
Camille Mauclair, Albert Besnard. L’Homme et l’œuvre, Paris, 1914.