Huile sur toile
Issu d’une famille toulousaine de peintres verriers, François de Troy quitta le Languedoc pour poursuivre à Paris sa formation artistique dans l’atelier de Nicolas Loir (1624 – 1679), puis auprès de Claude Lefebvre (ca. 1632 – 1675). Dès ses débuts dans le milieu artistique parisien, il témoigna d’une prédilection pour le portrait. En-deçà de la peinture d’histoire dans la conception académique hiérarchisant les genres, le portrait jouissait toutefois d’une considération particulière attachée aux enjeux sociaux et symboliques de la représentation humaine. La reconnaissance qui fut accordée, sous le règne de Louis XIV, aux portraitistes que furent Largillière, Rigaud ou de Troy l’atteste. Ce-dernier, qui bénéficia notamment de la protection de Crozat, fut reçu à l’Académie royale en 1674, et en assura la direction à partir de 1708.
Les sources ne documentent pas la technique de François de Troy, mais l’analyse qu’en fait Dominique Brême peut s’appliquer à l’exécution de notre tableau. L’artiste réalisait en premier lieu de nombreuses études à la pierre noire, dont la qualité fut très tôt reconnue. Il reportait probablement à main levée son dessin sur la toile, préalablement enduite d’une préparation allant de l’ocre au rouge, selon un procédé généralisé par Le Brun. Il s’attelait ensuite en premier lieu au visage et aux mains, en commençant par les clairs, rehaussant la matière de glacis et d’empâtements, puis composant progressivement l’arrière-plan en frottis.
La physionomie de la femme reprend les canons développés par de Troy. On peut par exemple la rapprocher de celle de Marie-Anne de Bourbon, princesse de Conti (Toulouse, Musée des Augustins, vers 1697). Le visage est lisse et ovale ; le front haut s’inscrit dans le prolongement de l’arête droite du nez. Les sourcils sont tracés en arcs de cercle harmonieux ; les yeux en amandes regardent le spectateur. La coiffure s’organise en volume, les cheveux sont remontés en rouleaux et retenus par un ruban rose, dégageant le front et l’oreille. Le peintre a porté également beaucoup de soin à l’exécution du vêtement. Sous un manteau en étoffe moirée, le corsage damassé est rehaussé de dentelles, et de riches broderies et passements colorés ; la largeur des manches accentue la forme tombante des épaules.
Les mains sont, selon l’usage, indissociables de l’expression du modèle. De la main droite, la femme tient un médaillon représentant son époux, qu’elle désigne de la main gauche. Le dessin des doigts et la courbe du poignet sont caractéristiques de François de Troy. Dominique Brême confrontait notre œuvre au Portrait dit de Mme de Monginot (Nantes, Musée des Beaux-Arts) ; le geste de la main gauche des deux femmes, désignant le portrait de leur époux, est en effet similaire. Le Portrait présumé d’Anne Dacier (France, collection particulière), la représente également tenant le portrait en médaillon de son mari.
Le mobilier occupe une place importante dans la composition, régissant la posture du modèle. Son bras gauche repose sur un bureau Louis XIV. Son assise évoque le Portrait de la duchesse de Bourgogne, mère de Louis XV (Musée de Grenoble, vers 1695). La dauphine est installée de la même manière sur un fauteuil Louis XIV, l’accotoir marquant le premier plan, et le large dossier couvert de velours fauve bordé de fils d’argent occupant la partie droite de la composition.
Le travail de François de Troy témoigne de son attention aux débats théoriques de l’Académie. Son exceptionnelle longévité, et l’inscription de sa carrière dans une période historique de transition, ont contribué à maintenir son style en perpétuelle évolution. On peut ainsi distinguer ses différentes périodes d’activité, et situer notre portrait au cœur de sa phase de maturité.
Dès le tournant du siècle, la manière de l’artiste a gagné en monumentalité ; le dessin s’est affermi, la touche s’est faite plus courte, les attitudes et les gestes ont pris de l’ampleur. Les coloris sont en outre caractéristiques de la production du peintre à partir des années 1710. Sa palette change alors radicalement de ton, et s’assortit à une gamme chromatique éclaircie propre au premier tiers du XVIIIe. Le rouge laisse place au rose, qui donne ici sa couleur à son manteau. L’ocre détrône les bruns, s’immisce dans le corsage, et investit l’arrière-plan, les tentures et la garniture du mobilier. Le bleu lapis est enfin abandonné au profit d’un bleu-vert tendre.
Selon la vente de 1977, le modèle aurait été Anne-Marie Charron, Baronne de la Rivoire. Les dates démentent toutefois cette identification : décédée en 1769, Anne-Marie-Denise Charron avait épousé Joseph Pichon de la Rivoire en 1751, soit plus de vingt ans après la mort de François de Troy.
Si Mariette fut un critique exigeant et difficile à gagner, il reconnaissait en François de Troy un grand peintre. Les mots qu’il eut à son égard éclairent la réception de son travail, et s’accordent à notre tableau : « Il travailloit sur d’excellens principes. Il avoit une manière de peindre extrêmement fondue, un pinceau léger et facile et un coloris qui imite merveilleusement bien tous les tons de la chair : J’ay veu de ses portraits dignes d’entrer en parallèle avec les ouvrages les plus fameux du Van Dyck et du Titien. »
Provenance :
Versailles, Palais des Congrès, Me Martin, Étude des Chevaux-Légers, 19 juin 1977, n°147, comme ‘Ecole de Roslin’, Portrait présumé d’Anne-Marie Charron, Baronne de la Rivoire’, reproduit.
France, Collection particulière
Bibliographie :
D. BREME, François de Troy, Toulouse : Musée Paul-Dupuy, Paris : Somogy, 1997