89,5 x 70 cm
Circa 1712.
Huile sur toile.
Provenance
• France, Sologne, collection particulière.
Le Commanditaire
Né à Innsbruck et grandi en exil auprès des Habsbourg d’Autriche, le duc Léopold (1679-1728), le père de notre modèle ne recouvrit ses duchés de Lorraine et de Bar en toute souveraineté qu’après le traité de Ryswick de 1697. Neveu de l’empereur par sa naissance et de Louis XIV par son mariage avec Élisabeth-Charlotte d’Orléans, Léopold Ier avait une haute idée de la majesté de sa fonction et du faste dont il convenait de l’entourer, n’hésitant pas à imiter le Roi Soleil. Durant ses trente années de règne, le pays dévasté par un siècle de guerres renoua avec la paix, la prospérité, mais également avec les beaux-arts. Léopold créa une Académie royale (sic) de Peinture et de Sculpture, institua un système de pensions permettant à des artistes de se former à Rome et invita, souvent à grands frais, musiciens, architectes et peintres français et italiens transformant sa résidence de Lunéville en un second Versailles.
Bâtisseur infatigable, Léopold fit venir à Nancy Jules Hardouin-Mansart, puis le lyonnais Pierre Bourdict, beau-frère de Coysevox, et, à la mort de ce dernier en 1711, Germain Boffrand. Pour réaliser les plafonds allégoriques, peindre les scènes d’histoire et les portraits, le duc fit notamment appel aux parisiens Jean-Baptiste Martin, « peintre des conquêtes du roi », Jean-Baptiste Durupt des Gobelins, Jean-Louis Guyon de l’Académie de Saint-Luc, et surtout aux membres de l’Académie Royale : Jacques Van Schuppen et Pierre Gobert qui arrivèrent tous deux en 1707.
L’Artiste
Fils de Jean Gobert, sculpteur du roi établi à Fontainebleau, Pierre Gobert se spécialisa très jeune dans le portrait en se formant très vraisemblablement chez les portraitistes royaux. Dès 1682, il fut choisi pour peindre le duc de Bourgogne âgé de quelques semaines (perdu), mais son activité reste difficile à retracer jusqu’en 1701 lorsqu’il se présenta devant l’Académie. Quatre mois plus tard seulement, l’artiste fut reçu, ayant livré les portraits demandés de Louis II de Boullogne et de Corneille Van Cleve (Versailles, inv. MV 5821 et 5837).
En sa nouvelle qualité d’académicien, Gobert envoya au Salon de 1704 pas moins de dix-sept portraits, dont ses deux morceaux de réception et, honneur suprême, celui du duc de Bretagne (frère aîné du futur Louis XV) placé « sous un riche dais de velours vert » sur une estrade à côté des tableaux du roi, du dauphin et du duc de Bourgogne par Hyacinthe Rigaud . Quant aux autres peintures présentées par Gobert, elles étaient – exception faite du portrait de la femme de l’artiste – révélatrices de sa clientèle composée exclusivement des membres les plus éminents de la cour et majoritairement féminine.
Dès lors, la carrière du portraitiste est ponctuée de commandes royales et prestigieuses, la plupart venant de la maison de France. En 1714, il signa ainsi un portrait du futur Louis XV destiné à la cour d’Espagne. Dès l’année suivante et jusqu’en 1733 au moins, l’artiste fut par ailleurs régulièrement employé par la famille régnante de Monaco. En 1725, l’artiste alla à Wissembourg où résidait la cour de Pologne en exil pour peindre la princesse Marie Leszczinska. L’année suivante, celle de sa nomination comme conseiller à l’Académie, il fut payé 2 700 livres pour trois portraits de la reine, dont celui « en pied orné de tous ses attributs ». Plus tard, ce fut le tour des filles de Louis XV de poser pour Gobert.
C’est certainement sa gloire de peintre « des femmes et des enfants » qui valut à notre artiste d’être invité en Lorraine. Un Mémoire des ouvrages de peinture faits par le soussigné par ordre de Leurs Altesses Royales heureusement conservé recense les portraits réalisés par l’artiste entre septembre 1707 et mars 1709 . On y découvre qu’il dut répéter à dix exemplaires chacun des portraits du duc Léopold, d’Élisabeth-Charlotte et de leurs quatre filles, mais également peindre les deux frères du duc, « Son Altesse royale Madame avec monseigneur le prince » (Nancy, musée Lorrain, inv. 77.2.13) et faire « le portrait original de monseigneur le petit prince » (Versailles, inv. 4433 ). En 1710, il s’agissait de Louis de Lorraine, né en 1704 et emporté par la variole en mai 1711. Gobert le représenta faisant des bulles de savon et vêtu d’une robe de velours vert aux galons d’or, car l’héritier n’avait pas encore atteint l’âge de « passer aux hommes », fixé à quatre ans en Lorraine comme en France.
Le portraitiste quitta le duché fort du titre de peintre ordinaire du duc Léopold. Toutefois, un seul autre voyage de Gobert est documenté : le 5 décembre 1721, il donna quittance à Nancy de la somme de deux mille livres « à compte du prix des portraits de la maison Royale par lui faits à Lunéville », le surplus devant être payé à Paris. De ce séjour datent les deux portraits de Léopold Clément (1707-1723), promis à la succession après la mort de Louis : le premier datant de 1720 environ (Versailles, inv. MV 3734, gravé par Jean-François des Cars) et le second réalisé en 1721, date à laquelle le prince reçut la Toison d’or (Versailles, inv. 3738, gravé par Duflos) . Or, de nombreux portraits, dont celui que nous présentons, attestent des relations continues du portraitiste parisien avec la Lorraine : Gobert devait se rendre assez régulièrement à Nancy et à Lunéville pour notamment peindre les enfants du couple ducal.
Le Modèle
On connaît ainsi plusieurs portraits de Léopold Clément : à trois ans (réplique d’atelier, Versailles, inv. MV 4432), à cinq ans et à huit ans (Versailles, inv. MV 3748 et 4424). Le musée du Prado conserve celui de Charles-Alexandre de Lorraine (1712-1780), futur gouverneur des Pays-Bas, âgé de trois ans (Prado, inv. P02297). Enfin, deux toiles représentent François-Étienne (1708-1765), futur empereur, duc de Lorraine et grand-duc de Toscane : la première, qui est notre œuvre, le montre vers trois ans, tandis que dans la seconde il a entre six et sept ans (réplique d’atelier, Versailles, inv. MV 4425). Malgré la forte ressemblance entre les fils de Léopold Ier, l’idéalisation propre à l’époque et les déformations inévitables lors de la réalisation des répliques, les princes lorrains restent reconnaissables, leurs traits s’affirmant d’un portrait à l’autre : le menton proéminent de Léopold-Clément, le nez long de Charles-Alexandre ou le nez un peu retroussé et les grands yeux de François-Étienne. La comparaison avec les portraits postérieurs de ce dernier réalisés après son avènement au trône ducal de Lorraine en 1729 ou son élection à l’Empire en 1745, confirme ainsi l’identification de notre peinture.
Notre Portrait
Comme à l’accoutumée, pour son portrait du petit François-Étienne, Gobert remploya une formule déjà utilisée pour l’image de son frère Léopold-Clément, connue d’après la réplique d’atelier de format ovale (Versailles, inv. MV 4432). La même formule devait servir en 1714 à l’artiste pour peindre le roi Louis XV, sans que cette réutilisation ne soit signe d’une quelconque facilité. Car si le décor avec le banc en bois doré et le rideau de velours vert, la pose de l’enfant et celles du chien et du singe – plus symboliques que réels – soient quasi identiques, le modèle lui-même est très différent. Dans le portrait de Louis XV, tout est ostentation, autorité, puissance et richesse incomparable. Dans le nôtre, le prince qui n’est pas encore l’héritier – il ne le devint qu’à la mort de Léopold-Clément en 1723 – a l’attitude de son âge, à savoir un peu plus de trois ans. Sa robe de velours bleu roi est ornée de galons et pompons d’or soigneusement dessinés dont la disposition évoque le vêtement militaire. Sa tête est coiffée d’un chapeau du même velours garni de plumes rouges : de telles coiffes, rappelant l’heaume des chevaliers, n’étaient portées que par les garçons. Mais cette subtile et sublime harmonie de rouge, vert et bleu ne sert qu’à encadrer le visage du modèle, sans conteste peint d’après nature et qui frappe par sa candeur. La touche est fondante, légère, devenant presque évanescente dans la chevelure blond cendré du prince. Avec ce regard limpide des yeux bleu céleste, cette bouche rosée et souriante, ces mains blanches et délicates (l’hésitation dans la position des doigts donna lieu à quelques repentirs), François-Étienne est un enfant avant d’être le troisième fils du duc de Lorraine. Ce qui laisse croire que, à l’aube du Siècle des Lumières, mais bien avant les théories de Rousseau sur la famille et la petite enfance, notre peinture, tout en remplissant quelque rôle politique, était destinée d’abord à faire le bonheur des parents du prince.
Loin d’être ce peintre gracieux et conventionnel que l’on décrit parfois, Pierre Gobert se révèle dans notre œuvre capable de saisir la douceur et l’innocence de l’enfance, de dépasser le cadre rigide de représentation officielle pour donner un portrait touchant et « parlant » pour reprendre l’expression employée par le roi Stanislas à propos du tableau de sa fille par Gobert.
A.Z.
Bibliographie générale (œuvre inédite)
Fernand ENGERAND, « Pierre Gobert, peintre de portrait », L’Artiste, mars 1897, p. 161-175.
Fernand ENGERAND, Inventaires des tableaux achetés par la direction des bâtiments du roi (1709-1792). Inventaires des collections de la couronne, Paris, E. Leroux, 1900, p. 211-215.
Juan J. LUNA, « Pinturas de Pierre Gobert en España », Archivo Español de Arte, no 196, vol. 49, octobre 1976, p. 363-386.
Eugène THOISON, « Recherches sur les artistes se rattachant au Gâtinais : Pierre Gobert », Réunion des Sociétés des beaux-arts des départements, 27e session, 1903, p. 98-137.
Eugène THOISON, « Pierre Gobert. Supplément au catalogue de son œuvre », Réunion des Sociétés des beaux-arts des départements, 30e session, 1906, p. 296-305.
Gérard VOREAUX, « Les peintres à Nancy et Lunéville au temps d’Henry Desmarest », in J. Duron et Y. Ferraton (dir.), Henry Desmarest (1661-1741). Exils d’un musicien dans l’Europe du Grand Siècle, Centre de Musique Baroque de Versailles, Sprimont, Mardaga, 2005, p. 149-160.