Henri MARTIN (Toulouse 1860 - Labastide-du-Vert 1943)

"Portrait de la femme de l’artiste en buste, vue de face"

Huile sur toile. Signé et daté H.Martin 1885 en haut à gauche.

Fils d’un ébéniste toulousain, Henri Martin fut admis à l’âge de dix-sept ans à l’Ecole des Beaux-Arts de la ville. Il y bénéficia d’une formation de qualité, ainsi que d’une vraie liberté pour déployer son talent ; Grand-Prix de la ville en 1879, il obtint une bourse qui lui permit de poursuivre ses études à Paris. Il s’inscrivit alors dans l’atelier de Jean-Paul Laurens (1838 – 1921), un autre fils de la ville rose qui avait suivit le même parcours vingt ans auparavant. Il devait trouver auprès de son compatriote un indéfectible soutien. « Mon brave Martin est un artiste qui a le diable au corps », dit de lui Laurens en 1883. Henri Martin, qui vit dans le quartier Montparnasse, expose alors au Salon pour la troisième fois ; il y enverra des œuvres jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale.
L’année 1885, au cours de laquelle fut peint notre portrait, marqua un tournant décisif dans la carrière de l’artiste : il obtint au Salon la Bourse de Voyage, qu’il consacra à un périple en Italie en compagnie d’Edmond Aman-Jean et Ernest Laurent. Les Titans luttant contre Jupiter, qui lui valut ce succès, est commenté par son biographe Jean Valmy-Baysse. Dans ce tableau, Martin « accentue encore le désir qui le tient de se libérer de l’influence traditionnelle, ou plutôt de l’emprise scolaire : heurté, véhément, son tableau témoigne d’une telle volonté que ceux qui le voient en sont pénétrés ». Ce commentaire pourrait s’accorder à notre œuvre, originale par sa facture libre et moderne, exempte de tout académisme.

Henri Martin peint ici un portrait, dans lequel on peut reconnaître les traits de sa femme. Il avait épousé en 1881 Marie-Charlotte Barbaroux, une jeune et talentueuse pastelliste qui lui servira fréquemment de modèle. On la retrouve par exemple dans un portrait daté de l’année de leur mariage (Portrait de la femme du peintre, collection particulière), puis dans une étude peinte, estimée d’environ 1885 (Portrait de la femme du peintre, localisation inconnue), exposés tous deux à Toulouse en 1983 (catalogue n° 6 et 11).
Le traitement de l’œuvre est original par bien des aspects. Henri Martin privilégie une vision frontale du modèle présenté en buste. Un relief très particulier anime ce cadrage : à l’éclairage traditionnel se substitue une lumière médiane, en surplomb, qui souligne le sommet de la tête, le nez, l’arcade sourcilière, la clavicule et le dessus des épaules. Le reste du visage est modelé dans une ombre ocre grise accentuée par la préparation noire du fond. Ce traitement confère à la femme des allures d’apparition.
La tête est auréolée de cheveux blond clair lacés de fleurs ; une fleur pourpre est piquée dans le corsage rose de la jeune femme, que recouvre partiellement un châle de mousseline noire. La touche est ici libre, large et perceptible, bien différente du divisionnisme qui caractérisera l’artiste dans sa maturité. La facture brute, la gamme choisie des couleurs accordées au noir dominant, l’expression du visage au regard fixe et à la bouche entrouverte, donnent à notre portrait des accents expressionnistes.
Henri Martin réalise ici une œuvre à part ; il s’éloigne des portraits classiques qu’il a fait de son entourage au début des années 1880. Plus qu’une représentation charnelle, il propose une vision féminine allégorique, intense mais à peine réelle. Il émane de la jeune femme un sentiment de mystère, cher à ce passionné de Wagner, lecteur assidu de Poe, Dante, Byron ou Verlaine. On y décèle les prémices d’une des périodes les moins représentées, mais non les moins fascinantes, de cet artiste complexe, qui fréquentera la Rose+Croix et les milieux symbolistes dans les années 1890, avant de s’installer dans le Lot où il finira sa vie.

Provenance :
- Vente de tableaux anciens et modernes, Me Chochon-Barré, Allardi, 1er février 1996, Drouot-Richelieu
- Angleterre Collection particulière

Bibliographie :
- J. VALMY-BAYSSE, Henri Martin, sa vie, son œuvre, Paris : F. Juven, 1910
- Henri Martin : 1860-1943 : études et peintures de chevalet, catalogue d’exposition, Palais des arts de Toulouse, Mairie annexe du 5e Arrondissement de Paris, 1983
- Henri Martin : du rêve au quotidien, catalogue d’exposition, musée de Cahors, musée des Beaux-arts de Bordeaux, musée de la Chartreuse de Douai (2008-2009), Milan : Silvana, 2008

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